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de cet avocat ? Légèreté d’attitude, erreur passagère de jugement... Peut-être... En réalité, il saute aux yeux que M. Caillaux crut faire une démarche banale... Là où la Commission d’enquête fait preuve d’une impartialité sereine et d’une nette vision des responsabilités, c’est lorsqu’elle montre que cette affaire n’est qu’un épisode dans la faiblesse générale des hommes, qu’ils appartiennent à la politique ou à la magistrature. Rien que dans son enquête, bien qu’elle ait délibérément circonscrit sa tâche, la Commission a pu se rendre compte à quel point les interventions comme celle dont elle avait à connaître sont la manière courante de la politique. Les hommes sont des hommes ; le désir d’obliger leurs amis, l’oubli des conséquences possibles d’un acte qui leur apparaît anodin, leur inspire à tous des gestes blâmables dans l’absolu, excusables dans le relatif... Nous sommes d’ailleurs certains que le pays a remis chaque chose et chacun à sa place... Il y verra plus clair que nos adversaires, parce qu’il n’a pas les mêmes raisons de se laisser aveugler par la passion, l’intérêt et la rancune. »

Qu’on nous pardonne cette longue citation : elle révèle l’état d’âme, fait de cynisme tranquille, qui est celui de la majorité radicale-socialiste. Avons-nous besoin de dire ce que nous en pensons ? Nous aimons mieux, pour nous dégager de cette écœurante philosophie à la Philinte, faire une citation de plus, et l’emprunter au beau discours dans lequel M. Briand a parlé le langage d’un homme de gouvernement. Après avoir raconté ce qu’il y a d’insuffisant, de vain, de dérisoire dans l’œuvre de la Commission d’enquête : « Mais, s’est-il écrié, pouviez-vous faire autre chose ? Eh bien ! oui, je le crois. Vous pouviez nous dire : « Pas de sanctions ; laissons de côté les individus... » Puis, vous élevant au-dessus des faits, jeter un coup d’œil impartial sur les causes pour en dégager la leçon. Ce qu’il y a surtout de grave dans toute cette affaire, c’est cette pitoyable manipulation des magistrats, conséquence fatale d’une conception fausse, terriblement fausse de l’exercice du pouvoir : c’est cette promenade des procureurs généraux, de cabinet de ministre en cabinet de ministre... Ce qu’il y a de particulièrement bas et ignominieux dans cette affaire, c’est ce fait : un avocat éminent du barreau de Paris, avec le parquet, avec la Cour, a réglé le rôle, il a accepté une fixation, il est prêt à plaider... On vient lui demander de réclamer de nouveaux délais, il dit : « Non ! ce n’est pas possible, je ne veux pas m’exposer à l’affront d’un refus certain. » Et, un beau jour, il voit entrer dans son cabinet son client, celui au nom duquel les magistrats ont été