Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traînés dans la boue, celui dont on a voulu faire une grande et radieuse victime de la justice persécutrice ; il entre la tête haute, lui, l’escroc, le financier taré. Et ce que l’avocat n’a pas osé demander, certain de se le voir refuser, il l’apporte à son avocat : « Allez-y, maître ! Demandez sans crainte, le renvoi vous est accordé d’avance. » Et c’est lui qui a raison ! Voilà ce qu’il y a d’abominable dans cette affaire. C’est de là, c’est de ce fait rendu public, qui aurait dû être mis au premier plan des conclusions et des flétrissures de votre Commission, c’est de ce fait que sort et monte comme un miasme malsain, qui incommode toutes les narines un peu délicates de ce pays. Et vous vous contentez de dire dans vos conclusions si vagues : « Oui, il y a là quelque chose de malsain, il faut que le pays réagisse ! »

Ce sont là des paroles vengeresses : il fallait qu’elles fussent prononcées. En face d’elles, les conclusions de la Commission semblent, en effet, bien vagues, bien vides, bien édulcorées, bien plates. M. Briand en a fait justice, et M. Barthou l’a fait après lui, en repoussant les reproches qui leur avaient été adressés. Et quels reproches ? Ils sont admirables ! La Commission a fait un grief à M. Briand de n’avoir pas produit, autrefois, devant elle le document de M. Fabre, et il en fait un à M. Barthou de l’avoir révélé aujourd’hui à la Chambre. Il faut hausser les épaules devant ces contradictions. L’œuvre de la Commission est hésitante, incertaine, mesquine, pénible, et, pour tout dire, un peu lâche ; elle se perd petitement dans les détails qu’elle cherche à opposer ceux-ci à ceux-là, de manière à compenser les responsabilités les unes par les autres et à les diminuer toutes ; on n’y sent pas passer le grand souffle de justice capable de tout purifier. Nous ne sommes pas surpris que M. Maurice Barrès n’ait pas voulu s’y associer et qu’il l’ait qualifiée durement devant la Chambre. M. Delahaye et aussi M. Marcel Sembat avaient demandé des sanctions judiciaires contre MM. Monis et Caillaux ; Os avaient cru trouver dans nos codes des articles qui s’appliquaient à leur cas ; on leur a soutenu le contraire et nous ne voulons pas entrer dans cette discussion. Mais, s’il n’y avait pas de sanctions pénales à appliquer, c’était une obligation de plus de rendre rigoureuses les sanctions morales : elles ont été diluées au point qu’il n’en reste à peu près rien. La Chambre a finalement voté un ordre du jour par lequel, après avoir pris acte des constatations de la Commission d’enquête, elle a réprouvé les interventions abusives de la finance dans la politique et de la politique dans l’administration de la justice, et affirmé la nécessité d’une loi sur les incompatibilités parlementaires. Quoi de plus anodin que la première