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En 1852, les citoyens Emile de Girardin, Proudhon, Louis Blanc, Félix Pyat, Jean Macé, P. Lachambeaudie, Savinien Lapointe, offrent au grand public l’Almanach de la vile multitude, guide pour les élections. « La vile multitude, » Félix Pyat reprend le mot et le commente ainsi, dans son style forcené : « Oui, esclave, ilote, plèbe, canaille, multitude, populace, roture, espèce, engeance, serfs, sujets, vassaux, vilains, manans, paysans, hommes de peine, hommes de somme, prolétaires, ouvriers, journaliers, tout cela, c’est le Peuple, le Peuple souverain... O vile multitude, tu es donc tout ce qui est forcé de travailler pour vivre, tout ce qui vit à la journée ou à la tâche, tout ce qui vit à la sueur de son front. Tu es le travailleur depuis le manœuvre jusqu’au penseur ; tu es tout ce qui manie la pioche, la scie, le marteau, le compas, le ciseau, le pinceau, la plume, que sais-je encore ? Tu es tout ce qui produit des mains et de la tête, du corps et de l’esprit ; tu es le soldat de la guerre éternelle que l’homme fait à la nature, qui a ses risques, ses dangers, ses blessés et ses morts, et qui n’a ni gloire, ni croix, ni pensions, ni invalides, hélas ! » La strophe continue, de plus en plus dithyrambique : « Tu es le conquérant de la matière, le dompteur de glèbes, le vainqueur des élémens,... tu exécutes tous les travaux de nécessité et de plaisir, de besoin et de luxe, les œuvres et les chefs-d’œuvre. » Puis voici l’antistrophe, qu’on attendait sans doute : « O vile multitude, tu es le dévouement comme tu es le travail incarné ; car tu ne consommes pas ce que tu produis ; car tu produis le blé et tu manges le son ; tu produis le vin et tu bois de l’eau ; tu construis les palais et tu habites les caves ; tu tisses la soie et tu portes la bure... Dans cette patrie où tu payes l’impôt du temps, de l’argent et du sang, tu n’as que le droit à l’assistance, si tu chômes ; à l’hôpital, si tu souffres ; à la prison, si tu murmures !... ô multitude vraiment honnête et vraiment modérée, qui es contente, qui aimes et qui chantes s’il y a de l’ouvrage, du pain et du soleil dans l’atelier ; oui, tu es noble et sainte comme Dieu même ! Dieu est ouvrier. » Auprès de cela, la République du peuple, almanach démocratique, rédigé par Fr. Arago, Carnot, Charras, Michel de Bourges, Schœlcher, même avec la collaboration de Ch. Baudelaire, de Pierre Dupont et d’Alphonse Karr, est bien fade. « Dieu est ouvrier, répète à tous les échos de la foule, dans les villes et dans les campagnes, l’Almanach