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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/101

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dramaturge norvégien. Les personnages de Paul Heyse ne savent pas mentir. Et combien parfois n’en sont-ils pas gênés ! Il arrive à Paul Heyse de mettre en scène des pécheresses, des épouses coupables. Surprises par leur mari ou leur amant, elles renoncent à se défendre. La plupart des romanciers montrent, dans ces cas-là, le mensonge jaillissant spontanément des lèvres de la femme. Coupable évidemment, la femme n’hésitera pas à nier l’évidence. Et l’homme n’est pas moins roué. Moins fin, il n’est pas moins fourbe. Les intrigues amoureuses s’entourent, dans le roman et le théâtre contemporains, de beaucoup de vilenies, mais surtout de beaucoup de dissimulation. Paul Heyse exige de ses belles âmes qu’elles soient hautes, droites et loyales jusque dans l’amour, jusque dans l’amour irrégulier.

Les amans, chez cet auteur, aiment de toute leur âme et d’un amour qu’ils croient éternel. Et c’est pourquoi leurs tourmens nous émeuvent si fort ; mais, quelle que soit l’ardeur de leur amour, il est une chose, dussent-ils en mourir, qu’ils ne sauraient lui sacrifier : leur honneur. Une nouvelle où plusieurs critiques voient le chef-d’œuvre de Paul Heyse, Inoubliables paroles (1882), illustre ce sentiment avec une force de pathétique à tirer des larmes aux lecteurs sensibles. La jolie baronne Vittorina de Hainstetten tombe amoureuse du précepteur de son jeune frère, le docteur Philippe Schwarz. Orpheline de père et très habituée à n’agir qu’à sa guise, elle décide d’épouser ce roturier qui lui plaît, dût la jaunisse en sévir parmi les siens.

Elle s’ouvre de son projet à une cousine dans un entretien que Philippe Schwarz surprend malgré lui et pour son malheur. Tout en célébrant les mérites de l’homme qu’elle aime, Vittorina ne peut s’empêcher de parler de lui en patricienne : « Ne sais-tu pas, demande-t-elle à sa cousine, combien dépourvue a coulé ma vie jusqu’à ce jour en dépit de toute ma richesse ? Et si maintenant je me suis mis en tête d’acquérir cet homme sans apparence plutôt que de m’offrir un Titien de prix fabuleux ou une statue grecque, jugerais-tu ce luxe si coupable ? »

Philippe Schwarz osait à peine lever les yeux sur Vittorina ; mais il l’aimait, il l’aimait follement sans espoir. Quelle disgrâce est la sienne ! Apprendre en même temps qu’il est aimé de Vittorina et comprendre qu’il doit renoncer au bonheur suspect qu’elle lui offre ! Sa « liberté et sa fierté d’homme » lui commandent, en effet, ce sacrifice : « Si je n’avais pas entendu