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d’une poésie populaire où Jésus, tout jeune garçon, assis au Temple parmi les docteurs, édifiait les « sept félibres de la loi. » Félibre fut substitué à troubaïre (trouvère), terme divulgué et trop discrédité pour retrouver une grande fortune. Mistral collaborait aussi, dès 1854, à l’Armana provençau (l’Almanach provençal), qu’avait fondé cet autre fier poète, son ami, Théodore Aubanel. Enfin, si d’autres que lui, Roumanille d’abord, puis Félix Gras, continuèrent à présider aux destinées du relèvement méridional, c’est bien Mistral qui, partout et toujours, dirigera les poètes associés ; il sera, jusqu’au bout, ce qu’il fut, dès les premiers temps, l’âme du groupe. Cette action paraît plus effective ou prend, du moins, plus d’extension après Miréio. Le bruit fait par cette œuvre avait dépassé les limites du territoire de la Crau. Il n’avait pas suffi au jeune auteur de s’assurer qu’on admirait et qu’on aimait sa poésie « en Arles. » L’Académie française, commise autrefois au soin de refouler tous les jargons, avait eu à se prononcer sur l’ouvrage, et elle avait suivi l’impulsion donnée par Lamartine : sous la présidence de Victor de Laprade, elle avait couronné cette idylle épique en patois de Provence. La propagande de Mistral pour la cause régionaliste trouva un nouvel aliment dans les hommages personnels qu’il venait de recueillir. Son ode Aux poètes Catalans, qui est du mois d’août 1861, en témoigne : « Des Alpes aux Pyrénées, et la main dans la main, — poètes, relevons donc le vieux parler roman. »

On ne sera pas trop surpris qu’à cette date-là, l’idéal de Mistral et de plus d’un de ses amis semble être le retour aux conditions historiques du temps passé. Heureuse paraissait à ces hommes d’imagination l’époque où, « unies par l’amour, » Provence et Catalogne mêlèrent « leur langage, leurs coutumes, leurs mœurs. » Au dire de l’auteur des Iles d’or, pendant « cent ans » ces deux pays des troubadours « se partagèrent l’eau, le pain et le sel. » N’était-on pas alors au bon vieux temps ? « Jamais la Catalogne ne s’éleva plus haut dans sa gloire, et toi, Provence, jamais tu n’as eu siècle aussi illustre. » Dans la vivacité de tels regrets comment ne pas être tenté de voir un commencement d’acceptation des théories séparatistes, que professait sans ambages un des meilleurs auxiliaires de l’union du Félibrige, ce gentilhomme érudit et poète, M. de Berluc-Pérussis ? A force d’être passionné, l’amour de la petite patrie