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suaire. Ce qui se passe là-bas, sur la scène, semble s’accomplir dans une région non seulement éloignée, mais étrangère. Entre les artistes et le public, aucune communication et nul échange. Nous éprouvons l’impression de ne pas être, les personnages et nous, sur le même plan, dans le même ordre de la pensée et du sentiment, en un mot, de la vie. Ici au contraire, et tout de suite, nous sentons s’établir le rapport, le rapprochement et l’union s’opérer. Félicitons-nous qu’un tel théâtre ait rouvert ses portes et faisons des vœux pour qu’il ne les referme plus.

Le programme, ou le cartellone, de la troupe anglo-américaine portait exclusivement des œuvres allemandes et des œuvres italiennes. Parmi les premières, nous n’avons entendu jusqu’ici que le seul Tristan. Les honneurs de la soirée furent pour une Isolde vraiment admirable. La voix et le talent de Mme van Ostade ont d’éminentes qualités : la puissance et l’éclat, la tendresse et le charme. Grâce à ces derniers dons, l’intelligente artiste nous ménagea dans le courant, — ou dans le torrent, — d’un rôle presque incessamment frénétique des repos tout à fait délicieux.

Un drame lyrique italien nous était inconnu : l’Amore dei tre re, de M. Sem Benelli pour les paroles et, pour la musique, du maestro Italo Montemezzi. La pièce est un drame de famille, une tragédie bourgeoise. Les trois rois, qui sans doute ne sont guère que des seigneurs, le sont de vagues seigneuries ou royaumes, quelque part dans l’Italie du Moyen âge. L’un, Archibaldo, est un vieillard aveugle ; Manfredo, son fils, est le deuxième ; le troisième s’appelle Avito. Tous les trois aiment Fiora, belle-fille du premier, épouse du second et maîtresse du dernier. On dirait une charade, mais terrible, où se mêlent et se heurtent furieusement les trois amours : conjugal, adultère et même incestueux. Le mari, comme il sied, ne se doute de rien. C’est le beau-père, dont l’âme, à défaut des yeux, clairvoyante et jalouse, découvre la trahison. Tandis que son fils s’en va-t-en guerre, il surprend Fiora près d’Avito. Le bruit des pas d’un fugitif, puis les aveux, bien plus, les défis injurieux de la jeune femme elle-même, achèvent de le convaincre et de l’égarer. Fou de colère, il se jette sur sa belle-fille et l’étrangle. Alors survient ou revient son fils, auquel il explique la chose à peu près en ces termes, bien qu’avec plus de lyrisme : « Elle te trompait, je l’ai assassinée. » Il lui cache d’ailleurs l’autre motif du meurtre, et fait bien. Mais, pour assouvir sa vengeance, le sinistre vieillard s’avise d’un abominable stratagème. Sûr que l’amant viendra dans la chapelle funéraire donner un dernier baiser à l’amante, il verse