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le plus sensible, le meilleur enfin d’elle-même, il faut peut-être le chercher dans la déclamation et le discours.

L’interprétation fut supérieure à l’œuvre. La compagnie Boston-Londres nous aura donné de beaux exemples et de nobles plaisirs. Dans la représentation de l’Amore dei tre re, dans cette représentation individuelle et collective, pittoresque et plastique autant que sonore, rien en vérité ne fut à reprendre. La voix et le chant de Mme Edwina (Fiora), ses mouvemens et ses attitudes, enfin toute sa personne physique et musicale a quelque chose de souple, de vif et de brillant, quelque chose aussi de distingué, voire d’un peu étrange, le signe enfin de ce qu’on pourrait, même en parlant d’art, appeler le sang ou la race. On sait que M. Vanni Marcoux (l’aveugle) ne possède pas ce qu’on appelle une bonne voix. On le sait, mais on l’oublie, car de cette voix médiocre, il est impossible de se mieux servir. En outre, le comédien ou le tragédien, chez ce remarquable artiste, égale ou surpasse le chanteur. C’est une magnifique voix de ténor, égale et pure, toujours agréable, souvent émouvante, que la voix de M. Ferrari-Fontana (Avito). Et puis, — heureuse rencontre ! — une intelligence musicale et dramatique anime, gouverne et modère cette voix. Rendons entière justice à nos visiteurs étrangers et remercions-les. En leur équipe véritablement exemplaire, les groupes sont dignes des personnalités. Nous avons ouï des chœurs aux voix fraîches, qui chantent juste, en mesure, et nuancent leur chant. J’ai beaucoup aimé la direction juvénile, ardente et vivante, souple, mais exacte aussi, du chef d’orchestre, M. Moranzoni. Grâce à lui sans doute, rien ne flotte ou ne traîne, tout est en place et d’aplomb, et l’on admire que tant d’élémens divers : premiers sujets cosmopolites, chœurs américains, orchestre français conduit par un chef italien, puissent former un ensemble harmonieux.


Peut-être vous rappelez-vous cette phrase de Renan : « L’intention de l’univers est généralement bienveillante. » On ne saurait douter qu’aujourd’hui l’univers, au moins l’univers sonore, soit animé d’intentions contraires. La musique de notre temps affecte un caractère agressif et méchant. Rien ne lui manque autant que l’agrément et la grâce, la volonté d’être aimable et le désir de charmer. Si vous souhaitez savoir où veulent en venir ces considérations générales et préalables, apprenez que plutôt elles nous viennent de deux œuvres, selon nous inégalement déplaisantes, mais déplaisantes l’une et l’autre : Scemo, l’opéra de M. Alfred Bachelet, et le ballet récent