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Sous son règne toutefois, le pouvoir n’abandonna point à l’égard des « auteurs » les traditions généreuses inaugurées par le siècle précédent. A l’exemple du maître, ses ministres sont généralement pleins de mépris pour la gent plumifère, ils lui refusent la liberté d’écrire, la considèrent même comme dangereuse, mais continuent à lui distribuer des encouragemens et des subsides, sous forme de pensions ou d’emplois.

Il est vrai que ces « grâces » pécuniaires sont le plus souvent fort maigres. La désastreuse opinion courut longtemps que les poètes, même les simples prosateurs, n’avaient nul besoin d’argent et sans doute se nourrissaient de gloire. Aussi les pensions sont-elles modiques : six cents livres, huit cents livres, frappées parfois de retenues assez fortes et, pour comble, pas toujours exactement payées. On oublia douze ans celle de Voltaire.

En revanche, les emplois sont plus rémunérateurs. Certains comportent logement sous les combles du Louvre, des Tuileries ou du Palais-Royal. Ce sont des postes de commis dans les bureaux, des charges d’historiographes et de bibliothécaires. Les plus favorisés d’entre les quémandeurs deviennent secrétaires des princes du sang, lecteurs près des grands de la Cour. Moncrif, on le verra, remplit cet office près de Marie Leczinska ; Collé, Laujon, Carmontelle[1] se succédèrent chez le Duc d’Orléans.

Non licet omnibus… De si fructueuses prébendes ne s’accordaient pas à tout venant, ni même, il s’en faut, aux plus dignes. Le seul mérite n’y conduisait pas toujours, mais bien plutôt l’intrigue, le manège, l’entregent, la souplesse d’échiné et de caractère. L’exemple de Jean-Jacques Rousseau le prouve d’abondance.

En outre, l’appui d’un protecteur influent n’était pas moins indispensable. Or, où trouver ce protecteur dont la bienveillante égide allait être la « Sésame » vers les honneurs et les places, sinon chez les puissans du jour, les grands, les personnes « constituées en dignité ? »

Les plus illustres ne répugnent pas à solliciter de tels patronages. « Les grands, écrit Voltaire, protègent dans l’occasion… ils peuvent faire du bien. » Trop rares ceux, comme d’Alembert, qui n’entendent point se mettre en posture d’obséquieux et préfèrent « rester pauvres pour vivre libres. »

  1. Voyez notre étude sur Carmontelle, dans la Revue du 15 avril 1912.