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qu’il nous en donnait d’admirables exemples. Et parce qu’il s’est trouvé que cette réforme était trop difficile, exigeant désormais de l’historien un effort trop pénible, ce n’est pas une raison pour qu’on puisse l’écarter d’un haussement d’épaules, en traitant de « discours » le beau livre où, pour la première fois, le puissant esprit qui l’avait conçue a tenté bravement de la réaliser.

Mais plus précieuse encore et plus indispensable, comme aussi plus tristement étrangère aux compatriotes de M. Curtius, est la seconde des deux leçons de « méthode historique » dont je parlais tout à l’heure. Celle-là ne nous a pas même, je crois bien, été signalée par le critique allemand ; et cependant il n’en est pas que Brunetière nous ait plus souvent enseignée, à la fois en théorie et par son propre exemple. La leçon consistait à tenir un compte scrupuleux des dates, et à considérer toujours une œuvre d’art comme l’expression d’un moment particulier de la vie de son auteur. « Le fondement de la méthode évolutive étant une chronologie rigoureuse, — nous rappelait naguère, ici même, M. Victor Giraud, — Brunetière avait cru devoir attacher aux dates une importance capitale. Une œuvre considérable étant donnée, son effort essentiel consistait à la situer exactement dans la série historique où elle venait d’apparaître, à déterminer avec précision les traits qui la rattachaient à telle ou telle œuvre antérieure, ceux qui lui appartenaient bien en propre, et par lesquels elle avait modifié le milieu littéraire contemporain. » Non content de vouloir, pour les grands artistes, une biographie foncièrement « artistique, » où le vain récit des aventures de leur existence privée ferait place dorénavant à celui des « drames » de leur pensée créatrice, l’auteur du Manuel voulait encore une biographie scrupuleusement « chronologique, » où l’intelligence d’une œuvre ne risquât point d’être faussée par son accouplement arbitraire avec d’autres œuvres appartenant à des phases différentes de l’évolution intérieure d’une âme de génie. En d’autres termes, et malgré sa légitime croyance à la vie propre des « genres, » il entendait qu’une tragédie de Voltaire ou un opéra de Mozart nous fussent présentés, surtout, non point par rapport aux productions précédentes de leurs auteurs dans les mêmes genres, mais bien à leurs autres productions dans le même temps, — fussent-elles de genres absolument opposés. Et que M. Curtius n’essaie pas de répondre qu’une telle méthode n’apporte rien de nouveau ! Cette fois, ce n’est plus seulement à d’autres historiens de son pays que je le renverrais, — à de tout récens musicographes qui, exactement comme ceux d’il y a un demi-siècle, comparent entre elles