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amours-propres, éprouve à la fois les qualités des équipages et l’endurance du matériel, bref, met en jeu toutes les forces des hommes, — forces physiques et forces morales, — en même temps que toute la puissance des choses, des coques, des machines, des engins de toute espèce.

Il en est bien ainsi. Du moins ai-je gardé à ce sujet la conviction que j’exprimais, il y a une quinzaine d’années, dans cette revue même[1], où j’essayais de mettre en lumière le grand, le précieux effet moral des manœuvres navales que dirigeait le chef suprême d’alors, le vigoureux et habile amiral Gervais.

Mais, justement, cette profonde, j’allais presque dire cette religieuse impression que nous laissait un grand simulacre de guerre maritime, nos successeurs l’éprouvent-ils, la retrouvent-ils aujourd’hui ? D’aucuns en doutent. On fait les manœuvres, disent-ils, parce que c’est la tradition, que c’est convenu, qu’il faut bien, au moins une fois l’an, empêcher l’escadre autrichienne de joindre l’italienne et battre en détail ces alliés malgré eux. Au demeurant, c’est une corvée, une corvée utile assurément, mais enfin une corvée ennuyeuse, parce qu’au fond, on n’y apprend rien de nouveau sur les grands problèmes si souvent étudiés, repris, retournés ; parce que « c’est toujours la même chose et qui se passe toujours au même endroit, » dans le même bassin stratégique, de la Provence à la côte d’Afrique, de la Corse aux Baléares…

Il y a les combats, il est vrai, les passes d’armes où, grands chefs contre grands chefs, on déploie à l’envi une science achevée des mouvemens tactiques et toute la subtilité de subterfuges devenus classiques, mais où il est impossible de porter à l’adversaire le coup réellement imprévu, foudroyant, décisif, dont la conception, le jour de la vraie bataille, naîtra d’une circonstance fugitive dans un cerveau exercé sans doute, fécond en ressources, surtout doué du sens de l’invention, de l’essentielle et admirable faculté de l’imagination…

Nous touchons là, en effet, aux limites des simulacres, limites qu’il faut savoir accepter sans méconnaître l’étendue du champ qu’ils laissent à l’indispensable préparation de la force navale aux opérations d’une grande guerre. Il y a toutefois, dans les critiques que je rapportais tout à l’heure en les

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1900 : Les manœuvres de l’armée navale, Journal de bord, par X***.