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l’état-major du prince Eugène. La Reine a chanté pour eux ses nouvelles romances. Elle aime fort à les voir applaudir, ainsi que le bon goût de sa toilette. Quelque supérieure qu’elle soit, une femme n’en est pas moins femme.

Le Prince arrange notre journée de demain. Nous retournerons à Saint-Marc, nous verrons le palais ducal, nous irons à l’île du Lido : enfin, je connaîtrai Venise, et je ferai part à mon cher monde absent des merveilles dont j’aurai été témoin.


26 octobre.

Le canon de la frégate autrichienne a sonné le réveil de la rade, et parmi tous les mouvemens qui se faisaient sous nos yeux, nous n’avons pas tardé à voir le bateau de Trieste entrer au port et jeter l’ancre. La dame d’honneur envoyée par la reine de Naples en est descendue.

Elle achevait de déjeuner dans le salon, quand le Prince nous est revenu tout ému. Il avait couru voir un petit bâtiment » français arrivé dans la nuit et portant à son mât le nouveau drapeau tricolore. Des compatriotes ! Les couleurs nationales ! Il en avait les larmes aux yeux. Ces gens, des Marseillais, au nombre de huit seulement, l’avaient invité à déjeuner ; mais par je ne sais quelle timidité dont je lui ai fait reproche, et « pour ne pas les gêner, » il ne s’était pas nommé à eux. Quel plaisir ces matelots n’auraient-ils pas eu d’apprendre que le neveu de l’Empereur avait salué pour la première fois les trois couleurs à leur bord ?

Mlle Elise Baig, — ainsi s’appelle la dame de la reine de Naples, — a, pour notre grand agrément, partagé toute notre journée. Elle est très musicienne, très spirituelle, très érudite ; elle parle toutes les langues vivantes sans le moindre accent ; elle a fait l’admiration de la Reine par la manière dont elle lit. En cela comme en tout le reste, elle me surpasse de beaucoup.

Je sens le vide que laissera derrière elle la gentille princesse Caroline. Sa présence était mon prétexte et ma contenance ; mon inexpérience et sa timidité nous rapprochaient l’une de l’autre ; sans elle, bien des momens seront plus difficiles à passer, et je n’aurai plus ailleurs comme ici la liberté de courir la ville, en lui servant de chaperon.

La princesse est assez bonne pour me dire qu’elle regrette