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Philippe l’Augmenteur, roi de France à quinze ans, marié d’abord à Isabelle, fille de l’héritière de Flandre et d’un comte de Hainaut, jeune épouse qui vivra si peu, mais qui lui a dévolu en dot la belle terre d’Artois détachée du comté maternel ; Philippe, légataire inespéré de la grande feudataire qui détenait encore héréditairement les comtés de Valois, de Vermandois et d’Amiens, Philippe-Auguste, pour le nommer de son nom coutumier, d’abord Croisé de Palestine, puis rival plus ou moins heureux du Cœur de Lion, avait abordé résolument, à l’avènement de Jean sans Terre, la grande pensée et la grande œuvre de son règne, la prise de possession du domaine continental des Plantagenets et son transfert définitif au royaume Capétien dont il incarnait les destinées.

En deux ans bien remplis, l’essentiel de l’affaire était mené à bonne fin. La campagne contre le roi anglais, amorcée dans le ressort du duché d’Aquitaine, à l’occasion d’un acte de violence commis par lui, judiciairement fondée et suivie sur un appel collectif des barons poitevins adressé au roi de France, comme suzerain de leur seigneur, amplifiée bientôt par la mort mystérieuse du jeune Arthur, neveu de Jean sans Terre, avait été menée avec une méthode vigoureuse et fertile en résultats. Vingt-six mois après la sentence légale de confiscation des fiefs tenus par le souverain d’Angleterre, — la sentence fameuse d’avril 4202, — la Normandie était française, du Tréport à Granville. La Touraine, le Maine et l’Anjou suivent son sort. Le Poitou et les régions limitrophes tergiversent davantage. Tour à tour, les deux princes y pénètrent en armes et s’en expulsent l’un l’autre. Finalement, six ans plus tard, au Midi de la Loire comme au Nord, l’empire des Plantagenets a disparu. Il ne reste plus à Jean sans Terre que la Guyenne proprement dite, avec le port utilisable et momentanément conservé de la Rochelle.

Philippe-Auguste, alors, semble à l’apogée de sa fortune. Son rival d’outre-Manche, distancé, s’embourbe dans une lutte sans issue avec son baronage et son clergé. L’archevêque de Cantorbery dirige avec vigueur une opposition qui parle haut et qui menace. Rome s’en mêle. Voici l’Angleterre en interdit, son roi déposé par le Pape, et le Capétien chargé d’exécuter l’arrêt. Au printemps de 1213, le roi de France tient en main, à la fois, et le pouvoir du Saint-Siège, et la promesse