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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/654

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enseignes des magasins, aux étiquettes des vitrines, seule ou associée à l’arabe. Il n’y a guère que le grec qui puisse sembler lui faire concurrence, surtout à Alexandrie, ville toujours très fidèle à ses origines, et dans les boutiques plus humbles des quartiers où vit la masse de la colonie hellénique. En tous cas, d’anglais point ; ou si peu qu’il en est négligeable. C’est en français que les murs, tapissés d’affiches, — éloquent symptôme I — vantent les mérites d’obsédans produits. C’est en français, adjoint à l’arabe, que les tramways, tout grouillans d’indigènes, renseignent sur leurs itinéraires. Bien plus : les inscriptions qui figurent sur les timbres-poste et les billets de chemin de fer, sont françaises encore autant qu’arabes, et notre langue est toujours parlée par les fonctionnaires des administrations publiques.

« Mais l’Egypte est française, donc !… » C’est le cri de tous ceux qui viennent de France au pays du Nil, et qui ajoutent, en hochant la tête : « Quel dommage !… »

— Oui, quel dommage, évidemment. Notre renonciation politique n’implique pas toutefois la perte de l’influence plus profonde de notre culture, qui peut toujours là-bas, et puissamment, servir la cause de notre nationalité. Il y a vingt ans, le français était beaucoup moins répandu en Egypte qu’aujourd’hui. Tous les vieux Egyptiens me l’ont attesté. En 1904, au moment où fut conclu l’accord franco-anglais, on put croire qu’il allait y avoir un arrêt, puis un recul dans la diffusion de notre langue, et que l’anglais allait la remplacer. Il n’en a rien été, — au contraire. Sans doute, les jeunes indigènes ont eu intérêt, à partir de ce moment, à apprendre l’anglais. Mais les extraordinaires aptitudes polyglottes des Orientaux leur ont fait, en général, simplement ajouter cette langue à la nôtre, et nous n’avons rien perdu.

La puissance d’attraction du français paraît donc rester sauve. Voilà un fait qui domine tout, et qui s’impose. Lord Cromer qui, vingt ans durant, mit toute son énergie au service de la domination britannique, caressa longtemps le rêve de substituer l’anglais au français en Egypte. Il dut y renoncer : les racines de notre langue sont trop profondes. Le français n’est pas en effet, ici, seulement la langue du monde et de l’élite, comme il arrive dans tant de pays d’Europe. Il est aussi la langue des affaires : — langue du commerce et langue de la