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justice. C’est en français que l’on vocifère autour de la corbeille dans les Bourses d’Alexandrie et du Caire ; en français que l’on plaide et que l’on juge dans les tribunaux mixtes, bien que l’anglais et l’italien y jouissent, comme l’arabe, de la qualité de langues officielles. Mais il y a plus : le français supplante, dans mainte famille, la langue nationale, même dans l’intimité. Cela est vrai surtout chez les Levantins de toutes races, — Arméniens, Syriens, Juifs, — qui sont fixés en Egypte et devenus Egyptiens. Mais cela tend à devenir aussi le cas d’indigènes musulmans que l’on entend de plus en plus fréquemment causer, plaisanter en français. Ils recherchent, ils créent même les occasions de se familiariser avec notre langue. Au Caire et à Alexandrie se sont fondées, entre jeunes gens, des Sociétés dramatiques où l’on joue nos vaudevilles et nos comédies.

Ainsi le nombre de ceux qui se servent du français, fait boule de neige et grossit sans cesse. Nul, en Egypte, ne peut plus négliger ni ignorer ce fait capital. Il faut s’incliner devant cette suprématie qui est reconnue même par nos rivaux, et avec éclat, comme l’atteste le fait suivant :

A côté de la presse arabe, qui est, naturellement, la plus répandue, il y a, en Egypte un grand nombre de journaux français : les Pyramides, la Bourse Égyptienne, la Réforme, le Journal du Caire, etc., que crient dans les rues, à l’instar de leurs collègues parisiens, mais avec un accent différent, d’étonnans camelots bronzés aux pieds nus et aux longues robes flottantes. Mais il y a aussi d’autres journaux européens. Les Anglais, bien entendu, ont voulu avoir leurs feuilles à opposer à cette presse française, ne fût-ce que pour affirmer au moins leur existence dans le pays. Un peu plus tard, il en a été de même des Allemands, qui par tous les moyens, s’insinuent en Egypte, comme dans tout l’Orient ; ils s’efforcent de s’y faire une place, et il leur a paru nécessaire d’appuyer l’action de leurs commerçans et de leurs banques, par la publication de quelques feuilles germaniques. Il y a donc, au Caire et à Alexandrie, des journaux anglais et allemands. Seulement, pour faire passer cette marchandise peu achalandée, il a fallu mettre du français autour : au lieu de paraître sur quatre pages, les journaux anglais et allemands en ont huit, dont la moitié rédigée en notre langue. Le journal allemand, même, est allé plus loin. Il dissimule prudemment sa nationalité : Les quatre pages françaises