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On sait à quel point cette question tient au cœur de l’Angleterre : l’intérêt et l’honneur ne lui permettent pas d’y apporter la moindre hésitation, de laisser s’y introduire la moindre équivoque. L’intégrité et l’indépendance de la Belgique sont des dogmes fondamentaux de sa politique. Elle a donc demandé à la fois à la France et à l’Allemagne si elles respecteraient la neutralité belge. Nous avons répondu affirmativement : nous sommes une nation honnête, nous nous regardons comme liés par les traités où nous avons mis notre signature. L’Allemagne a refusé de répondre et, cette fois encore, l’Angleterre a été éclairée. Le gouvernement allemand a essayé de causer, de négocier ; il a affirmé que, si la Belgique était violée, cela ne tirerait nullement à conséquence et que, les choses une fois finies, la Belgique redeviendrait vierge comme devant ; il a fait à l’Angleterre des offres qu’il jugeait engageantes. Sir Ed. Grey a répondu que l’Angleterre ne marchandait jamais quand il s’agissait de ses intérêts et de ses obligations. Cette fière réponse n’a laissé aucun doute à l’Allemagne sur la résolution britannique : au surplus, l’Angleterre lui a adressé un ultimatum en lui donnant seulement quelques heures pour y répondre. La réponse n’étant pas venue, l’Angleterre a déclaré la guerre à l’Allemagne. L’indignation s’est emparée du pays tout entier, et M. Asquith l’a exprimée dans des termes si vigoureux qu’il est allé jusqu’à qualifier d’ « infâmes » les propositions de Berlin. Et aussitôt l’union de tous les partis s’est faite en Angleterre, comme elle s’était faite en France, comme elle s’est faite en Russie. La question irlandaise qui, hier encore, menaçait de déchaîner la guerre civile, a disparu de l’horizon. — Vous pouvez retirer toutes les troupes qui sont en Irlande, a dit M. Redmond: nous nous chargeons de défendre nos côtes nous-mêmes. — Et M. Bonar Law, au nom de l’opposition, a déclaré : « Nous combattons pour la base même de la civilisation dont l’Europe est garante. Il ne s’agit pas ici d’une lutte sans importance : c’est peut-être la plus grande que l’Angleterre ait eu à soutenir et l’issue en est certaine. C’est le napoléonisme une fois de plus, mais, Dieu merci, autant que nous le sachions, il n’y a pas cette fois de Napoléon. » Il n’y a pas non plus de Bismarck assurément, ni de Moltke probablement, ni même de Roon, semble-t-il, du moins autant que nous le sachions, comme s’exprime M. Bonar Law. Quoi qu’il en soit, l’Angleterre est engagée : elle ne reculera plus.

Que dire de la Russie ? C’est à elle, la première, que l’Allemagne a déclaré la guerre, et c’est à cause d’elle que nous la faisons nous-mêmes à l’Allemagne. L’autre jour, dans une audience qu’il lui a accordée,