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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/97

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une force physique ou morale. Jamais Corneille ne fut mieux compris, ni plus aimé. Jamais artiste mieux que Talma, jamais peintres mieux que David et Guérin, n’en ont fait comprendre la mâle beauté. « L’étonnante et merveilleuse tragédie, dit Geoffroy, qui se joue depuis seize ans sur le grand théâtre de l’Europe, cette époque extraordinaire qui renouvelle la face du monde, cette succession de prodiges donnent aux esprits une direction qui les éloigne des vieux hochets en possession de les amuser. Corneille, très dédaigné sous le règne des philosophes, est aujourd’hui le plus fêté, parce qu’il est le plus fort de choses… La Révolution nous a expliqué Cinna, elle en a fait un commentaire un peu plus instructif que celui de Voltaire[1]. »

Comme celle de Corneille, la gloire de Michel-Ange si obscurcie au XVIIIe siècle, si incomprise alors, si en opposition avec toutes les mièvreries de cet âge, réapparaît plus grande que jamais. Pour Stendhal, qui fut l’héritier des doctrines d’art de cette époque, Michel-Ange est un Dieu.

Enfin, par réaction contre le luxe des grands seigneurs de la monarchie, contre ce luxe qui rendait plus douloureuse encore la misère du peuple, l’art de la Révolution fut de la plus stricte simplicité. Il hait le luxe, non seulement parce qu’il est injuste, mais parce qu’il le juge inutile. Il supprime toutes les recherches d’élégance et de subtile complication. Son idéalisme a des visées trop hautes pour qu’il puisse s’intéresser à la courbe d’une arabesque ; il a trop à dire pour perdre du temps à ciseler les branches d’un éventail ; il a de trop rudes batailles à livrer pour s’attarder à ces passe-temps des longues périodes de paix. Et les hommes de la Révolution furent austères comme on ; l’avait été au temps de la Contre-Réforme, au moment où on luttait contre le luxe de la Renaissance, comme ils luttaient eux-mêmes contre le luxe de la monarchie française.

A côté des caractères essentiels que nous venons d’énumérer il faut en indiquer d’autres, plus secondaires et qui peuvent même paraître en contradiction avec eux. C’est ainsi qu’en opposition avec le caractère de moralité de l’art de la Révolution, nous trouvons un caractère de sensualisme, qui en est en quelque sorte la contre-partie. La France, quoiqu’elle l’ait voulu, n’a pas pu se délivrer de cette immoralité qui était entrée si

  1. Cours de Littérature dramatique.