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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/98

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profondément dans les mœurs. On ne change pas une société en un jour. Les plaisirs de la vie, les vices, la débauche, le jeu, tout ce qui n’était précédemment que la part de quelques-uns, au lieu de disparaître, va tendre avec le nouveau régime à devenir le lot de tous. Ce peuple si longtemps privé de bien-être, il veut à son tour jouir de ces plaisirs qu’il enviait tant. Les beaux rêves de réformes sociales conçus au début de la Révolution sombrent dans les débauches du Directoire. Et, lorsque plus tard, Napoléon redonne à la France l’ordre et la prospérité, sa cour semble faire revivre les sensualités de la cour de Louis XV. Ce sensualisme, si en désaccord avec les principes premiers de la Révolution, est cependant un des traits de ce régime, et il met dans cette époque deux caractères bien contradictoires, mais qu’il est impossible de méconnaître.

De même, à côté de l’énergie, qui est un des traits dominans de la Révolution, il faut noter le caractère de sensibilité. L’amour de l’humanité, la sympathie pour les faibles, bien qu’ils semblent ne pas avoir de place dans un régime qui ne vit que par la force, sont cependant au nombre des idées fondamentales de la Révolution. La foule qui applaudissait aux sentences du tribunal révolutionnaire, trouvait des larmes d’attendrissement pour ceux que parfois acquittait le tribunal. Le théâtre est plein de comédies larmoyantes, et le rôle le plus applaudi est celui de bienfaiteur de l’humanité. « On doit être rassasié au théâtre d’héroïsme et de générosité, dit Geoffroy. La bienfaisance y est aussi banale qu’elle est rare dans le monde : il n’y a point d’auteur qui ne se croie un grand génie, quand il a mis sur la scène un personnage ami de l’humanité souffrante. »


§ II. CARACTÈRE COMMUN A LA REVOLUTION ET A LA MONARCHIE : LE NÉO-CLASSICISME, SES ORIGINES

Pour achever de caractériser l’art de la Révolution, il faut parler de son classicisme. C’est un caractère fort notable, mais dont on méconnaît parfois la véritable signification. Si dans la formation de l’art de la Révolution il n’y avait pas eu d’autres causes que l’influence de l’antiquité, on pourrait à juste titre, au début d’une étude sur cet art, s’étendre longuement sur les fouilles d’Herculanum et de Pompéi, sur l’influence exercée par les écrits de Winckelmann, ou sur le rôle pouvant revenir à