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correspondent plus en rien à aucune idée utilitaire, elles expriment quelque chose de plus que l’idée de puissance ; elles disent, par cet effort prodigieux, l’élan des âmes vers le ciel, c’est la plus audacieuse et la plus heureuse recherche faite pour exprimer l’impérieux besoin de spiritualisme qui est au fond du cœur de tous les hommes.

Voilà la raison pour laquelle ce motif des tours, qui n’eut pas dans tous les pays la même importance et qui notamment fut secondaire dans les églises italiennes, eut tant de succès en France dans l’architecture romane et gothique et mit dans nos églises une si remarquable unité. Mais, malgré cette conformité à une idée unique, que de variétés dans nos façades, que d’efforts pour perfectionner le motif adopté, que de recherches admirables pour passer de la façade de la Cathédrale de Paris à celle de Reims !

A s’en tenir aux principales recherches faites par les gothiques pour mettre des beautés de plus en plus grandes dans les façades de leurs églises, on pourrait indiquer les idées suivantes : 1° Tendance à la complication et à l’ornementation de toutes les formes ; 2° Affirmation de plus en plus nette du verticalisme des lignes ; 3° Multiplicité des vides ; 4° Union aussi intime que possible de tous les élémens de la façade, de façon à réaliser une composition d’ensemble d’une grande unité.

1° Dans une façade, les parties que les gothiques s’attachèrent le plus à décorer, ce furent les portes. Ouvertes dans l’énorme épaisseur des murs servant de support aux tours, elles offraient par leurs profonds ébrasemens un champ admirable à la décoration sculptée. Et il est à remarquer que ce fut une grande nouveauté dans l’art, une profonde modification de l’architecture antique, qui mit toujours son décor au sommet des édifices sur les frises et les frontons.

Déjà, dans la cathédrale de Paris, nous voyons l’architecte, développant les motifs créés par l’art roman, décorer magnifiquement ses trois portes ; mais quel prodigieux progrès se fait à Reims ! L’architecte ne se contente plus de la trouée faite dans le mur : pour rendre sa porte plus belle, il la projette en avant, en fait comme une espèce de porche, et il peut réaliser le plus magnifique ensemble de sculptures créé par notre architecture chrétienne. Je dirai plus loin la beauté de ces sculptures, je me contente en ce moment de marquer leur rôle architectural.