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II

L’un des traits particuliers de la politique financière russe a été le souci constant d’accumuler des disponibilités considérables. Sous le régime de l’autocratie, on estimait que le tsar devait toujours avoir à sa portée une sorte de trésor de guerre[1], qui lui permît de prendre plus librement ses résolutions en face de certaines éventualités. L’avènement du régime parlementaire n’a pas modifié la tradition. Les Russes sont d’avis qu’il vaut mieux contracter, en temps de paix, les emprunts destinés à garnir leurs caisses, que d’attendre les temps troublés, qui rendent les opérations de crédit plus difficiles. Non seulement le ministre des finances a constamment des centaines de millions à son crédit à la Banque de Russie, mais il a des dépôts à l’étranger, qui s’élèvent à des chiffres considérables. Au 1-14 août 1914, son avoir à la Banque était encore de 517 millions ; au 1-14 septembre, il était tombé à 231 millions, ce qui s’explique aisément par les dépenses de la mobilisation.

Au sujet des sommes dont le ministre pouvait disposer à l’extérieur, le discours qu’il a prononcé le 26 juillet-8 août à la Douma nous fournit les renseignemens les plus intéressans. Le 11-24 juillet, c’est-à-dire le jour où l’Autriche remit à la Serbie la note, désormais historique, qui mit le feu à l’Europe, M. Bark fit partir à l’instant même, pour Berlin, des fonctionnaires, chargés de retirer les titres que le gouvernement y avait laissés, et dont la valeur était d’une vingtaine de millions de roubles ; en même temps, il télégraphiait aux banquiers allemands, correspondans du Trésor, de remettre immédiatement l’avoir du Gouvernement, en partie à ses correspondans de Paris et de Londres, en partie à Saint-Pétersbourg, nous voulons dire Petrograd. Nous savons ainsi que, sur la seule place de Berlin, l’avoir russe atteignait 100 millions ; il devait être beaucoup plus élevé en France et en Angleterre. Au 1er janvier 1914, il s’élevait à un total d’un demi-milliard.

Cette situation de créancier donne au ministre russe une force singulière vis-à-vis des marchés monétaires. Il est bien vrai qu’une fraction des dépôts est régulièrement absorbée par le

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er mars 1913, notre étude sur Les États banquiers.