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Si les soldats allemands comprenaient la Marseillaise que chantent nos soldats, ils saisiraient peut-être le sens de ce vers fameux :


Que veut cette horde d’esclaves ?


Le droit, la liberté, l’indépendance des nations, voilà ce que défendent aujourd’hui les armées alliées de France, de Russie, d’Angleterre et de Belgique. Mais cela, c’est aussi la paix. Car on ne peut dissocier ces augustes divinités. Tant qu’il y avait au centre de l’Europe un peuple asservi, tant qu’il y avait des nationalités frémissant sous une domination étrangère, que ce fût à Metz ou à Trieste, à Serajevo ou à Posen, à Trente ou à Strasbourg, la pacification de l’Europe était une chimère. Que de questions sont posées, que la guerre va résoudre ! Et, quand elle les aura résolues, il n’est pas téméraire d’espérer que cette guerre, hélas ! si sanglante, aura du moins établi une paix durable. Car, si les peuples sont indépendans, si les nationalités sont libres, si les sujets sont devenus des citoyens, toute guerre internationale sera sans objet.

La France était pacifique ; et elle l’est encore, résolument, sincèrement, profondément. Mais on l’a provoquée, on l’a contrainte à une guerre de légitime défense. Et, par la logique des événemens, plus puissans que les hommes chétifs, il arrive que cette guerre de légitime défense s’est transformée en une guerre de libération.

Libération de l’Europe, qui n’aura plus à trembler devant l’intolérable et intolérante hégémonie de deux empereurs ! Libération des nationalités opprimées par l’Autriche, libération des Allemands eux-mêmes ! Bientôt, sans doute, voyant ce que des maîtres jusqu’ici irresponsables ont fait de leurs destinées, ils voudront devenir des citoyens libres et raisonnables. Ils ne s’abandonneront plus aux délices d’une mégalomanie grotesque. Cet anachronisme médiéval qu’est aujourd’hui l’Empire allemand devra se transformer et se moderniser. N’avait-on pas raison de dire tout à l’heure que la guerre actuelle conduisait à la paix ? A l’anarchie internationale elle substituera l’ordre juridique international : c’est-à-dire l’arbitrage. On a pu croire, à la Haye, que le principe allait en être accepté par tous. Par qui a-t-il été repoussé ? Par l’Allemagne. A partir de ce moment, les moins clairvoyans ont pu comprendre qu’elle visait la guerre, ou plutôt qu’elle la voulait.