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fleuristes importunes vous accablaient de violettes et de roses, des cireurs de bottes s’emparaient de force de vos chaussures, des marchands de sucreries ou autres confiseries vous assommaient de leurs offres, et cela avec une volubilité, une insistance, un accent criard… Quel tapage, quel vacarme !… Si je compare cela au calme d’aujourd’hui, interrompu seulement par les sifflets des vendeurs de journaux, pareils à des crisse-mens de grillons, quelle différence ! Et cependant, je ne puis m’empêcher de constater que la clientèle du grand Café affecte une nonchalance un peu trop grande, laquelle me fait penser à l’attitude paisible de nos cafés du boulevard, quand les événemens intérieurs ou extérieurs n’ont aucune gravité. On voudrait un peu moins de quiétude et de sentiment de bien-être.

Lorsque tant de gens souffrent horriblement, au point de vue physique comme au point de vue moral, les cales et les restaurans à la mode pourraient être fréquentés avec un peu moins de complaisance. Cette observation n’est pas trop méchante, et il me semble qu’il est permis de la faire. Je trouve que, dans cette foule agitée et se pressant aux nouvelles, il y a parfois plus de curiosité que d’émotion.

En 1871, on se promenait habituellement, — et il en va de même aujourd’hui, — dans les grandes et belles allées Tourny où la statue de Napoléon III avait été renversée de son piédestal et où, quarante ans plus tard, Dalou devait faire placer un de ses chefs-d’œuvre, le monument de Gambetta. Le tribun se rendait à la séance en fiacre découvert et, debout dans la voiture, la tête fière, répondait à de fréquens saluts par des coups répétés d’un superbe haut de forme, tandis que les passans émus criaient : « Vive le grand homme ! » Du Cours du XXX-Juillet, on aimait à regarder la place des Quinconces, qui avait servi de Champ de Mars pendant toute la guerre et qui avait conservé de belles frondaisons, aujourd’hui, hélas ! bien mutilées. Cette magnifique esplanade n’avait pas encore était abîmée par l’effroyable colonne élevée à la mémoire des Girondins que surmonte la statue de Dumilâtre où un amas de jupons, d’ailes, de chaînes brisées et de palmes, placés sur un globe offrent à l’œil la plus affreuse effigie qui soit jamais sortie des mains maladroites d’un sculpteur. Ajoutez-y un coq d’or aux ailes en éventail, des tritons et des chevaux aux pieds fantastiques dont Bartholdi me soulignait jadis l’horreur, et vous comprendrez le