dans son impatience d’affirmer sa personnalité, autant d’ennuis que d’embarras à son père, si l’empereur Frédéric avait régné plus de quelques mois ?
Parler de la jalousie de Guillaume II, excitée par la popularité croissante du Kronprinz, c’est mal juger l’Empereur : il a une trop haute idée de sa propre valeur et ne peut se faire illusion sur la capacité réelle de son héritier. Insinuer que, par crainte de cette popularité qui menaçait d’étouffer la sienne, Guillaume II a précipité les événemens, cela reviendrait à dire que le Kronprinz a été la cause déterminante, causa causans, du déchaînement de la guerre, et ce serait vraiment lui attribuer une importance et une influence qu’il n’a possédées à aucun moment. Ses incitations belliqueuses, son ardeur guerrière, n’auraient pas pu ébranler la volonté de l’Empereur, si celui-ci n’avait pas été décidé, de son côté, à aller de l’avant et à risquer la grosse partie dont les enjeux étaient le sort de l’Europe et celui de l’Allemagne.
L’Empire allemand, tel que Bismarck l’a conçu, avec un ministre unique, supportant seul, comme Atlas le ciel, tout le poids de l’énorme machine gouvernementale, était taillé à la mesure de son fondateur. Pour que ce régime soit viable, il faut que la nation ait toujours à sa tête un grand chancelier ou un grand souverain, dont le chancelier ne serait que le délégué. Tant que Bismarck tint le gouvernail, il conduisit la barque de l’Empire d’une main ferme à travers tous les écueils de la politique intérieure, Kulturkampf, lois contre les socialistes, divisions des partis, instabilité des majorités au Reichstag. Après le renvoi du grand homme et sous la puissante impulsion qu’il lui avait donnée, l’esquif poursuivit quelque temps sa route, ayant pour pilote le souverain lui-même qui, à défaut de génie, était plein de confiance en soi. Il a doublé ainsi de nombreux récifs, porté par le flot grossissant de la prospérité nationale, mais menacé parfois de s’échouer, faute d’une majorité complaisante pour voter ses crédits au Parlement impérial.
Il est facile de s’imaginer ce que deviendrait l’Empire aux mains du Kronprinz. Lui aussi, comme son père, mais avec moins d’intelligence, voudra tenir le gouvernail et faire prédominer sa volonté de monarque de droit divin contre le flot des revendications populaires, de plus en plus exigeantes et houleuses sous la poussée victorieuse du socialisme. La conception