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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/694

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toute vaine cruauté soit proscrite, toute dévastation inutile évitée, tout fait contraire à l’honneur ou indigne de l’humanité réprimé par celui-là même dont la cause a été défendue par de tels moyens. Et ainsi, sur ces intérêts communs, un droit peut reposer, droit pas très étendu sans doute et essentiellement modeste dans ses prétentions, mais un droit tout de même, légitime, nécessaire, si l’on ne veut pas que le monde retourne à la pure barbarie.

Grotius et son école n’apercevaient pas, je l’ai dit, la possibilité d’un pareil droit. En théorie donc, et en théorie seulement, ils se croyaient obligés d’enseigner que tout est permis entre ennemis, mais dans la pratique, que ne faisaient-ils pas pour tempérer cette doctrine contre laquelle leur conscience s’insurgeait ? D’abord, à ce prétendu droit naturel, aveugle et impitoyable, ils opposaient le droit des gens. L’emploi du poison, l’assassinat de l’ennemi, la perfidie, le viol, sont permis par le droit naturel, mais réprouvés par le droit des gens : de semblables moyens de guerre seront donc tenus pour illicites.

Puis ces mêmes auteurs s’empressent d’ajouter que tout ce que le droit permet ne doit pas être suivi et, raisonnant soit de ce que la peine de chacun doit être mesurée sur sa responsabilité, soit de la bonté, de la modération, de la grandeur d’âme qu’il faut savoir garder même au milieu des hostilités, ils émettaient toute une série de règles sages autant qu’humaines qu’ils déclaraient moralement obligatoires pour les combattans.

Tout cela était sans doute compliqué et subtil, mais encore combien cette attitude était supérieure à celle de ces savans modernes qui se disent les serviteurs du droit et en même temps ne négligent rien pour en détruire l’autorité ?

J’ai cité parmi les Allemands le nom seul de Lueder ; s’il est le premier, il n’est pas le seul, et nous voyons les mêmes idées acceptées par la grosse majorité des auteurs de cette nation, soit à titre de principe général, soit dans les cas spéciaux dont le plus typique est le cas d’un bombardement. Les noms de Lentner, de von Rüstow, de Litzt, peuvent être rappelés ici. On en trouverait d’autres, et il est plus facile de mentionner ceux qui, comme le Suisse Bluntschli et Geffcken, ne pensent pas que tout moyen est légitime lorsque l’on veut provoquer la terreur et vaincre par le moyen de l’intimidation.