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l’a dit ailleurs, je crois plutôt qu’il s’est borné, ici encore, à juxtaposer, selon certaines convenances esthétiques, ce qu’il appelle « de beaux fragmens de vie. »

En tout cas, l’idée centrale du morceau n’est pas douteuse. De même qu’au début de son poème, il a germanisé la Bible, il affirme, en cet épisode, sa volonté de germaniser l’art. Hélène, la beauté grecque, s’est prostituée en mille aventures. Voilà longtemps, d’ailleurs, qu’elle est morte. Ce n’est plus qu’un spectre blême, que la philologie allemande peut bien ranimer un instant, mais qui s’évanouit, dès qu’on essaie de le toucher. Faust le ressuscitera, il fera entrer Hélène dans son lit. Le vigoureux Germain fécondera l’Hellade décrépite. En d’autres termes, il n’y a de salut pour l’art qu’à la condition d’exprimer des pensées allemandes sous une forme antique.

Mais le grand théoricien de l’Action ne saurait s’amuser longtemps à souffler un semblant de vie à des fantômes. Arrière les mirages de l’art ! La réalité seule peut le satisfaire. C’est elle qu’il poursuit à travers les fictions. Selon l’expression de Schopenhauer, l’art n’est qu’un calmant destiné à endormir la volonté, qui s’efforce sans cesse vers la vie, vers la possession et la jouissance de la vie. Ce n’est qu’un expédient de l’impuissance pour se donner au moins l’illusion de posséder ce qu’elle convoite ou ce qu’elle rêve. La pure contemplation de la Beauté ne suffit pas au Germain. Tout de suite, son farouche instinct de domination et de jouissance le précipite sur elle pour s’en emparer et la soumettre à son désir.

Aussi l’hymen conclu entre la Pensée allemande et la Beauté classique, entre Hélène et Faust, est-il des plus éphémères. A peine sorti du berceau, le jeune Euphorion, leur fils, lance le chant de guerre, l’hymne à la force, qui va rompre la fragile union de ses parens. Son premier mouvement est de se jeter sur les jeunes filles du chœur et de les brutaliser : « Toutes vous êtes des biches agiles ! A de nouveaux jeux accourez d’alentour ! Je suis le chasseur, vous le gibier !… Allons ! à travers les bois, les arbres et les pierres ! Le bien qu’on a sans peine me répugne : celui qu’il faut conquérir par la force seul me réjouit… (serrant-une jeune fille dans ses bras) : J’entraine ici la petite sauvage, pour la forcer à se rendre à mes désirs. Pour mes délices, ma joie, j’étreins sa poitrine rebelle, je baise sa bouche mutine, je fais acte, en vérité, de force et de volonté… »