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buste de Charles-Albert posé sur un tout petit autel : l’autel de la Patrie sans aucun doute. A droite, la princesse Cristina, coiffée d’un feutre à plumes, la taille mince dans une longue tunique, l’air dégagé, son éternel drapeau à la main, couronne le triste buste du Roi, qui paraît atterré. A gauche, est un giovanetto romantique, coiffé lui aussi d’un feutre cavalier ; sur ses épaules flotte une longue cape de velours, il a une moustache en croc et l’air résolu ; lui aussi tient un drapeau, lui aussi couronne Charles-Albert. Dans cet ensemble, la princesse et le giovanetto seuls sont vivans et prêts à l’attaque ; Charles-Albert est morne et embarrassé, et c’est l’histoire de l’Insurrection milanaise. La princesse, en effet, animée d’un espoir que le peuple semble avoir partagé avec elle, ne trouve pas, dans le Roi, le chef résolu qu’elle désirait trouver ; il est fuyant, il est invisible. Ne pouvant le joindre, elle lui écrit. Elle lui fait des propositions de fusion : « les partis doivent être oubliés, le sort de l’Italie seul est en jeu, » et le Roi lui fait répondre que « l’on compte sur elle plus que sur n’importe quelle personne. » La voilà heureuse.

Mais que sont devenus les giovanetti ? Hélas ! avec les autres troupes on les a envoyés au-devant de l’ennemi, et le comte Hübner dit qu’ils se sont dispersés et qu’on les a revus en haillons, mendiant aux portes de la ville ! Cependant notre générale s’impatiente : l’ennemi s’avance, le Roi ne va-t-il pas agir ? Elle fait demander une audience, elle veut connaître les intentions de ce prince, qui certainement n’est guère entreprenant, ni guerrier, et qui fait dans toute cette histoire assez triste figure. Sans repos, elle se rend du Comité de la défense au quartier général de Charles-Albert, qui lui dépêche son secrétaire. Satisfaite après une conversation avec le secrétaire, elle se retire « en le priant de féliciter le Roi sur ses belles résolutions[1]. »

Mais les belles résolutions de Charles-Albert sont de vaines paroles, car il se sauve la nuit sur un cheval d’emprunt, de peur d’être reconnu, sans défendre Milan qui, comme l’on sait, tombe aux mains des soldats de Radetzky.

Alors, « le général d’Aspre laissa un libre essor aux vengeances, aux attentats isolés. Les forçats de Porta Nuova furent

  1. L’Italie et la Révolution italienne en 1848, par la Princesse Christine Trivulce de Belogiojoso dans la Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1848, p. 157.