Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cordiale, et par les mêmes causes, devenir le sûr et efficace instrument de l’œuvre d’équilibre et de liberté que les trois Puissances avaient à accomplir en Europe et dans le monde.

La France, au moment où se joignaient les mains du roi Edouard VII et de l’empereur Nicolas II, voyait se préciser, se traduire en réalité la vision qui, dès 1875, lui était apparue : celle de l’Europe reconstituée par les trois Puissances alliées et amies.


VIII

C’est alors que l’Allemagne commence à parler d’encerclement et que, voyant se resserrer autour d’elle l’union des Puissances qui se sont senties menacées, elle en vient à considérer cette union comme une sorte d’attentat, un crime de lèse-majesté.

C’est alors aussi que, mesurant à son aune les forces et ressources de la Triple-Alliance et celles de la Triple-Entente, elle n’hésite pas à s’attribuer la supériorité, à concevoir d’elle et de sa mission l’idée qui a enflé son orgueil et lui a inspiré la résolution de rétablir une harmonie désormais plus exacte entre sa vraie puissance et la situation effectivement due à cette puissance. Il lui a paru que, puisqu’elle était la plus forte, la mieux ordonnée, la plus riche en population, la mieux dotée en fait de méthode, de science et de culture, elle devait réclamer toute sa place au soleil et ne plus supporter cette disproportion choquante entre la part qui lui était faite et celle qui lui était due.

C’est en ces années qu’est née et s’est formulée la doctrine de la race et du peuple élus, et, comme conséquence, celle du droit, que dis-je ? du devoir qu’avaient cette race et ce peuple élus, de réformer la surface du monde, d’exproprier et de déposséder les indignes, les faibles et les neutres, et de ne pas laisser des combinaisons ou habiletés purement diplomatiques (ce que le chancelier Bethmann-Hollweg devait appeler plus tard des chiffons de papier) s’opposer, se substituer à la vérité, à la réalité du pouvoir, du savoir et de la force. L’Allemagne s’étonnait, s’indignait que, dans la paix et le droit, elle pût être réduite à une portion qu’elle regardait comme insuffisante et injuste et qu’une coalition, jugée par elle purement diplomatique, eût la prétention de la maintenir, de l’encercler, dans