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fosse ne nous capture. Cette éventualité nous apeuré plus que la crainte des balles, inoffensives pour la plupart.

En effet, les joyeux canonniers nous avertissent de notre erreur. Nous nous précipitions vers les lignes boches. Ils nous regardaient faire ; par curiosité. Nous repartons à rebours. Et, bientôt, nous trouvons à l’issue d’un boyau recouvert de branchages un autre canonnier du roi Albert. Il veut nous conduire vers la ferme prochaine où se masque une section de la batterie cherchée. Le sous-officier se plaint de rester là, sans combattre. Il s’ennuie. Depuis les premiers jours de la campagne, il a chevauché avec ses pièces, de Louvain à Anvers, d’Anvers à l’Yser. C’était passionnant. Un seul de ses hommes fut tué. Cette guerre de taupes enfouies dans la boue le contente moins. Il souhaite l’aventure, les coups à donner, les périls excitans même pour son âme de Flamand trapu, gros, blond, narquois. Pourtant il conseille de dissimuler l’automobile et l’infirmière qu’il contient, parmi les chaumières bordant la route. Les observateurs ennemis ont vite fait de reconnaître un véhicule de cette taille, et de lui adresser une politesse sur le chemin repéré. Ce que confirme la marmaille écolière qui se rassemble auprès de la dame dans l’espoir de sous. A travers champs, dont les mottes engluent nos guêtres, nous arrivons près d’une grange écartée. Trois artilleurs français, en sabots, s’occupent de la volaille, semble-t-il. Débonnaires et ventrus, ils fument aussi, la veste entr’ouverte. On ne penserait certes point, à les voir, que, dès le signal, ils introduiront l’obus dans la culasse de leur canon caché, puis enverront la mort à quelques kilomètres, soigneusement. D’ailleurs, fidèles à la discipline, ils ne laissent point approcher. Ils refusent toute explication sur leurs habitudes.

Au bout du compte, ils nous renvoient dans une métairie sise à deux kilomètres environ, sur un chemin de traverse. Nous y parvenons. Trois bâtimens de bon aspect la composent. Un large cratère d’obus fut récemment comblé dans le champ qui la précède. Nous apercevons des artilleurs parmi la paille d’un grenier. Ils mangent et bavardent près de la fenêtre ouverte. Il en est d’autres dans l’écurie, dans l’étable, auprès des chevaux. Les gens de la ferme besognent entre les soldats. Au rez-de-chaussée du logis, un pointeur dort sur une chaise de paille, près du feu. Le bureau de la batterie occupe la salle