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des spectacles, attirer dans ce cadre tout ce qu’il trouvait de beau dans la nature, faire étalage de sa virtuosité picturale, que cela cadrât, ou non, avec l’histoire. Le chanoine ne s’était guère avisé et peut-être n’était-il pas toujours enchanté de ces fantaisies qui nous enchantent. C’est bien lui qui a dicté la Rencontre de saint Joachim et sainte Anne à la Porte d’Or de Jérusalem : il a dû prescrire que, d’un côté, l’ange avertit saint Joachim de quitter ses troupeaux et de rentrer dans le monde, de l’autre, à sainte Anne, d’abandonner ses lectures pieuses, parce que son veuvage va finir, et de s’en aller à cette même porte, où l’attend sa divine destinée. Mais ce n’est pas lui qui a imaginé l’élégant donjon à pont-levis, et la rue en perspective, les Amours courant sur la frise, comme échappés des cheminées d’Urbino, les têtes curieuses aux lucarnes, les poules picorant, le coq triomphant, les canards nageant, la grue marchant à pas comptés, l’écureuil grimpant à l’arbre, le chien lapant l’eau du fossé, le berger y descendant sa gourde, la lavandière y tordant son linge, ni le faisan, ni le paon, ni le lapin, sous les fougères, ni toute cette ornementation de chapes, de manteaux et de bonnets. C’est lui qui a dicté les trois actions principales dans la Présentation de la Vierge enfant au Temple, mais non les robes de « beau maintien, » les escoffions, les templettes et les manches à crevés bouffans, de l’éblouissant cortège féminin. Il a bien donné, dans les Perfections de la Vierge, le texte Fons hortorum, mais non prévu la délicieuse vasque d’or, ni les filets d’eau descendant des flûtes maniées par les Amours.

En sorte que lorsqu’on a trouvé, dans chacune de ces images, le texte d’où l’artiste a tiré son sujet, on n’a pas trouvé, du tout, ce qui leur donne leur aspect particulier. Pour le trouver, il faut les regarder avec des yeux d’ignorant, non d’archéologue, en les confrontant, non plus avec l’histoire ou la théologie, mais avec la nature et la vie. Alors, on voit tout de suite ce qui fait le charme de ces images : c’est leur fantaisie. Otez à ces dames leurs costumes anachroniques, leurs toilettes du XVe siècle, et drapez-les à l’antique, comme l’eussent fait Le Sueur et Poussin ; fauchez toutes ces fleurs et ces feuillages du premier plan ; frappez dans vos mains et faites envoler tous ces oiseaux ; chassez toutes ces gens et toutes ces bêtes qui n’ont rien à faire ici ; mettez de l’ordre dans ces moutons ; rendez