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du tout. Mais c’est aux Puissances balkaniques qu’il appartient d’adopter la politique qui leur convient. Les Alliés n’essaient pas, comme l’Allemagne, de peser sur elles par l’intimidation et la corruption. Ils ont d’autres procédés, qui leur ont d’ailleurs trop bien réussi jusqu’ici pour qu’ils y renoncent maintenant.


Nous voudrions n’avoir pas à parler d’une interview que Benoit XV a accordée à un journaliste français et qui, lorsqu’elle a été connue, a produit partout une impression très profonde : mais comment se taire en présence d’un fait aussi grave et qui est pour nous si pénible ? Le Pape, dans sa conversation avec M. Latapie, a continuellement adopté le point de vue allemand pour justifier son silence en présence de tant de faits monstrueux qu’on aurait crus impossibles dans une guerre moderne. Si la cathédrale de Reims a été bombardée, les Allemands prétendent qu’ « il y avait un observatoire » sur les tours, et le Pape fait état de cette allégation. « Nous referons la bibliothèque de Louvain, dit-il : j’ai déjà donné des ordres, nous aiderons à relever les cathédrales. Est-il besoin de dire que nous condamnons de toutes nos forces ces abominations ? Chaque coup tiré sur la cathédrale de Reims retentit dans mon cœur… Mais l’heure n’est pas venue de démêler la vérité, au milieu de toutes les affirmations contradictoires. Le Vatican n’est pas un tribunal. Nous ne rendons pas des arrêts. Le juge est en haut. » Quant au cardinal Mercier, « il n’a jamais été arrêté ; il peut circuler à son gré dans son diocèse. » Ce n’est pas ce qu’a affirmé le cardinal dans la lettre pathétique dont la conscience universelle a été bouleversée. Mais, continue Benoit XV, « j’ai reçu du général von Bissing, gouverneur de la Belgique, une lettre m’assurant qu’il réprimerait désormais avec la plus grande énergie tous les actes de violence contre les églises et contre les ministres de Dieu. » Et voilà le Pape rassuré. Et le Lusitania ? « Je ne connais pas de plus affreux forfait, déclare-t-il… Mais croyez-vous que le blocus qui étreint deux empires, qui condamne à la famine des millions d’êtres innocens, s’inspire aussi de sentimens bien humains ? » Et la violation de la Belgique ? « C’était sous le pontificat de Pie X, » dit brièvement Benoit XV, et il croit avoir assez dit.

Il n’y a pas lieu de discuter, ces déclarations, — si elles sont authentiques, de tous points, — suffisent. Certes, le Pape est dans une situation délicate, angoissante, tragique même, et nous avons dès le premier moment regretté pour lui qu’elle se soit produite au début de son pontificat. Il est le Pape de tous les fidèles, qu’ils soient fran-