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çais ou allemands, belges ou autrichiens. Son devoir est complexe ; il est plus difficile à remplir que, par exemple, celui du cardinal Mercier, qui est très simple. Aussi avons-nous trouvé quelquefois bien pressantes les injonctions qui lui demandaient de se prononcer, au milieu de cette guerre cruelle, entre des combattans dont les exigences étaient égales. Mais puisqu’il s’était tu jusqu’ici, pourquoi n’a-t-il pas continué de le faire ? Puisqu’il n’avait pas trouvé le mot à dire au moment où se perpétraient tant de forfaits, pourquoi a-t-il parlé aujourd’hui ? À supposer même que toutes les allégations soient exactes, comment n’a-t-il pas senti que la France et la Belgique, meurtries et couvertes de ruines, méritaient qu’il s’exprimât sur elles avec plus de ménagemens que sur l’Allemagne qui n’a pas subi ces cruelles souffrances ? Et, quand même il serait aussi vrai qu’il est faux qu’il y ait eu « un observatoire » sur la cathédrale de Reims, était-ce une raison suffisante pour la détruire avec l’acharnement furieux qu’on y a mis et qu’on y met encore ? Et si quelques coups de fusil malheureux ont été tirés sur des soldats allemands à Louvain, était-ce une raison pour faire de la ville ce qu’on en a fait ? Le Pape ne le croit certainement pas, mais il a l’air d’y trouver une excuse admissible, et nous en sommes affligés.

Tout cela appartient à l’ordre moral : voici maintenant qui touche à l’ordre politique. Le Pape reconnaît avoir été nettement neutraliste et avoir l’ait ce qu’il a pu pour empêcher l’Italie de prendre part à la guerre. Était-ce le rôle qui lui convenait ? Avait-il ici un devoir à remplir ? Puisqu’il était le Pape des uns et des autres, ne devait-il pas rester impartial entre eux et éviter avec soin ce qui, étant favorable à ceux-ci, devait être défavorable à ceux-là ? En fait, il a travaillé dans le même sens que MM. de Bülow et Giolitti. Pourquoi ? Il en donne trois raisons. « D’abord, dit-il, parce que je suis le représentant de Dieu sur la terre. Dieu veut que la paix règne entre les hommes. Un pape ne peut vouloir et prêcher que la paix. » Cette dernière affirmation condamne rétrospectivement toute une partie de l’histoire de la papauté ; elle désavoue quelques-uns des plus grands papes qui ont honoré et illustré la chaire de Saint-Pierre. Nous avions cru jusqu’à ce jour qu’il y avait eu des guerres justes et même saintes, que l’Église avait approuvées et auxquelles il avait été glorieux de participer. Dieu n’a pas dédaigné de s’appeler le Dieu des armées. Le Pape dit ensuite qu’il aime l’Italie et qu’il a voulu lui épargner les souffrances de la guerre : l’Italie les accepte d’un cœur viril pour réaliser un grand idéal ; elle repousse des sympathies qui