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davantage qui frappent le plus fort. Les héros, dont la croix de la bravoure ne pourra désigner qu’un petit nombre à notre admiration, sont tous de grands optimistes. L’un ne se sépare pas de l’autre. L’héroïsme est la forme supérieure de l’optimisme.

Derrière le front, la France reste optimiste, parce qu’elle aussi soutient le combat. Les ouvriers qui prennent sur leurs nuits pour fabriquer des obus, les cheminots qui doublent leurs heures de service pour assurer le ravitaillement, les paysannes, les admirables paysannes, qui labourent pour préparer la moisson future, tiennent leur rang dans la bataille. Joignons-y tous ceux qui du fait de la guerre ont vu leur travail se compliquer ou s’accroître et ont allègrement accepté la charge nouvelle. Il y a aussi la participation indirecte des âmes par le redressement intérieur : on s’applique à remplir mieux qu’autrefois sa tâche quotidienne, on s’abstient de certains plaisirs, on s’impose des privations pour donner davantage aux œuvres de guerre, on supporte sans rien dire de mortelles inquiétudes, on accepte avec courage un deuil cruel, on l’offre à Dieu pour la France, on souffre et on prie pour elle. L’action prend des formes diverses qui sont toutes génératrices de confiance. D’un mot, l’optimisme est la marque, la récompense et l’honneur de ceux qui ordonnent leur effort physique et moral dans le sens de la guerre, du combat et de la victoire.

L’action mesure si bien l’optimisme que par-là s’expliquent certaines remarques. Cet hiver, quand les journées se passaient à ne rien faire à cause des pluies interminables, on sentait parfois un peu d’abattement chez les femmes restées seules dans les métairies : il s’est dissipé dès qu’elles ont pu prendre la charrue et de leur voix perçante commander les attelages aux naseaux fumans. Voyez d’ailleurs les pessimistes, puisqu’on en rencontre quelques-uns. Ce sont souvent des gens auxquels le métier donne en temps ordinaire peu de travail et maintenant pas du tout : la guerre n’a eu d’autre effet pour eux que de rendre leur vie un peu plus paresseuse. Il se trouve qu’ils n’ont aucun être cher au front, du moins aux endroits dangereux ; leur âme ignore les angoisses et aussi les fiertés qui l’auraient haussée au niveau de l’émotion commune. Rien n’est changé dans leur vie tranquille. Ils vont chaque jour à la promenade et sur un banc se réunissent. Ils y cultivent ensemble les tristes