Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dispositions de leur pensée et les accroissent. C’est un coin de dépression qu’il vaut mieux ne pas fréquenter.

Entrez plutôt dans une de ces maisons où flotte sur la porte le drapeau de la Croix-Rouge. Il n’y a là que des volontaires, médecins et infirmières, qui, jour et nuit, travaillent à soigner les blessés. Tout y est à l’action et à l’action de guerre. C’est un foyer d’optimisme. Dès le premier jour, le médecin aura dit à ses collaboratrices : « Nous soignerons de notre mieux, le plus scientifiquement possible, les plaies de nos blessés. Mais nous étendrons notre souci à l’homme tout entier, l’âme aussi bien que le corps, l’un et l’autre également meurtris par l’horreur de la bataille. Ce souci ne sera pas inutile à la guérison des blessures et aura cet autre avantage que, sortant de vos mains, les hommes retourneront au combat le cœur plus ferme et plus haut. Votre vaillance passera dans l’âme des plus déprimés sous le couvert de votre tendresse. » Les infirmières sont entrées dans cette pensée, où leurs dons naturels devaient facilement s’employer. De ce qui a été fait sous nos yeux, ailleurs et partout, il faudra plus tard dire les résultats : les documens ne manqueront pas, lettres du front où, la veille de l’attaque, des hommes, sur le point de se battre et peut-être de mourir, se souviennent de celles qui les ont préparés a ce moment difficile et leur envoient un témoignage de leur âme. Quand le blessé guéri a quitté l’hôpital, il y a eu des adieux. Mais les paroles échangées, parfois touchantes, ne révélaient pas les subconsciences profondes. D’un côté, ceci : pars, mon ami, et courageusement défends-moi ; et de l’autre : je vous défendrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang, pour que l’ennemi ne s’approche pas de vous, qui représentez ma mère, ma sœur, ma femme, ma fiancée.

Ainsi reparaissent et fleurissent des sentimens très primitifs : la ruée furieusement brutale des Allemands, malgré tous ses caractères scientifiques, n’est-elle pas une régression aux temps les plus barbares, où la tribu se jetait sur sa voisine pour tuer les hommes, voler les troupeaux et emmener les femmes captives ?

Dans la lettre d’un bon soldat je trouve ceci : « La patrie, c’est ceux qu’on a laissés derrière soi et qu’on aime. » Voici celle d’un enfant de dix-neuf ans, gravement blessé à Charleroi et reparti plein d’entrain : « Madame, demain, c’est la grande attaque et