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furieusement ; en route, nous avions croisé des autos de blessés de l’attaque de Proyart, où les Allemands avaient été culbutés, et la présence de l’escadrille Farman, du 20e corps, montrait que l’action était bien engagée.

A Lamotte-en-Santerre, il devint difficile de se procurer quelque aliment, et nous dûmes même réconforter de pauvres gens qui n’avaient plus de quoi manger ; cela nous arriva plusieurs fois, selon nos moyens, surtout là où « ils avaient passé, » car ils n’avaient rien laissé de comestible…

Le dimanche 27, une jolie journée, nous eûmes l’agréable surprise de voir ramener les batteries de campagne ennemies, réduites et prises par les nôtres ; j’ai pu me rendre compte, en manipulant la pièce allemande de 77, à quel point elle est inférieure à notre 75 ; c’est une vraie camelote mal conçue et mal fabriquée. Il y en avait huit, les autres étant démolies complètement.

Vers midi, je reçus l’ordre du capitaine de rejoindre la batterie avec la jument « Epopée, » guérie d’une blessure au cou. J’en étais ravi ! Je me procurai difficilement un paquetage à peu près complet, et, trouvant sans difficulté la bonne route, j’arrivai à la batterie au crépuscule, par Morcourt, Proyart et Chuignes, où l’on s’était battu deux jours avant. Ces villages n’étaient pas trop dévastés, mais ils étaient complètement abandonnés par leurs habitans, ce qui leur donnait un air de désolation lugubre très impressionnant : en les traversant, le seul bruit qui frappait mon oreille était l’écho des pas de mon cheval… J’en avais le frisson !… Tout le long du chemin, j’avais rencontré des équipemens, des fusils, des canons et caissons démolis indiquant, de notre part, une vigoureuse offensive devant laquelle tout avait cédé. J’espérais que cela continuerait.


B. DESCUBES.