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courage, mais certainement une folie, car ils risquaient de se faire démolir sur place sans pouvoir s’échapper et, par la même occasion, de faire découvrir nos batteries qui arrivaient à ce moment-là au galop.

Le premier jour, il n’y eut rien de bien intéressant. Nous couchâmes en bivouac sur nos positions, les servans à leurs pièces, les conducteurs à leurs chevaux, sans dételer ; la température, très douce, nous permettait de dormir merveilleusement. Aussi la vie ne nous paraissait-elle pas désagréable.

Le lendemain 29, un mardi, première surprise : il nous arrive tout un stock de lettres en retard ; j’en avais 16 espacées du 11 août au 22 septembre ! Deuxième surprise : celle-là, désagréable ; un aéro allemand vint lancer des bombes sur Bray, au moment où nous faisions boire nos chevaux ; chez nous, pas de mal, mais deux femmes et deux officiers d’infanterie furent tués. C’était la première fois qu’il nous arrivait pareille aventure ; l’aéro semble toujours vous dominer et, instinctivement, sentant qu’on ne peut rien contre lui, on se recommande aux puissances célestes. La seule protection contre eux est dans les auto-canons, disposées spécialement pour tirer sous des angles très grands. Nous en avions deux qui, sans leur causer grand mal, leur tirent assez de peur pour mettre fin à leurs exploits. Nos 75 peuvent aussi tirer dessus, mais bien moins commodément ; nous avions appris à le faire et pûmes le leur prouver, à leur grand désarroi.

Enfin, ce jour-là, se place le « coup » du clocher de Fricourt, triomphe du capitaine C… Ce village, pris par les Allemands, était attaqué par l’infanterie qui ne pouvait plus avancer à cause du feu terrible des mitrailleuses qui, installées dans le clocher, décimaient nos malheureux fantassins. Le commandant de l’attaque nous fit demander de démolir le clocher ; désespoir du commandant B…, à qui il répugnait de détruire l’église : « Ce pauvre village a déjà tant souffert ! Ah ! que c’est triste ! » — « Ma foi, mon commandant, » dit le capitaine C…, « puisqu’il est dans mon secteur, je peux toujours essayer d’abattre le clocher, sans toucher à l’église ; à 3 800, c’est possible. » — « Soit, essayez ! ». Et le capitaine essaya. Quand il eut réglé son tir, avec une seule pièce, il prévint les officiers présens et commanda : « Augmentez d’un demi. Par 2 ! » L’obus précédent avait écorné le clocher à la hauteur de l’horloge ; les deux coups