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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/434

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pourvues de 25 cuisines, de 5 galeries royales, et enfermant sept cours, une église, d’innombrables escaliers et la Grande Salle de 26 mètres sur 46, avec son dôme juché sur 26 colonnes de stuc et décoré par Tiepolo, quelle était donc la richesse et quels étaient les revenus qui pouvaient soutenir un pareil train ? quel rendement pour les peuples avaient ces fastueuses dépenses ?

En ce budget impérial, on n’aperçoit que deux chapitres productifs : les chemins de fer et, surtout, les postes et télégraphes. Les postes et télégraphes, qui coûtaient 88 millions à l’Empire en 1872, lui en rapportaient une centaine : en 1913, 764 millions de dépenses lui valaient 842 millions de recettes. Ce chapitre s’était donc octuplé, et voilà, disent les Allemands, la meilleure jauge de l’activité économique que cet empire militaire avait infusée à toute l’Allemagne.

Qui voudrait nier ou dénigrer cette activité parlerait contre l’évidence, et même « activité » n’est pas le mot juste : c’est agitation qu’il faudrait dire. Mais l’écureuil, dans sa roue, et s’active et s’agite. Le problème n’est pas de savoir si l’Allemagne, depuis quarante ans, s’était ruée de toute son ardeur à l’entreprise économique et à la spéculation financière, comme naguère à la critique verbale, à la spéculation philosophique et à la rêverie musicienne, ou comme autrefois à la bâtisse princière et aux fureurs théologiques, ou, plus anciennement encore, au brigandage chevalier et aux expéditions romaines. En affaires, la quantité importe assurément ; mais la qualité décide, et mieux vaut gagner beaucoup en remuant quelques millions que brasser de nombreux milliards en perdant si peu que ce soit sur chacun d’eux.

Or, c’est de quantité, de masse, non de qualité, de valeur, qu’en affaires aujourd’hui, comme en beaucoup de choses autrefois, les Allemands s’étaient avant tout préoccupes : faire plus grand qu’autrui, sur le modèle d’autrui, faire chaque jour plus complet à la dernière mode fut toujours à leur gré synonyme de faire bien et de faire beau, et peu leur importait ce qu’ils faisaient et où ils le faisaient, pourvu qu’ils le fissent par-dessus le voisin. Le Deutschland ütber Alles mériterait d’avoir toujours été leur chant national : d’autres peuples désirent le mieux pour eux-mêmes et pour les autres et regardent plus volontiers au-dessus d’eux, vers l’idéal, qu’au-dessous ou autour d’eux,