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paraissaient, sur les plus frivoles dénonciations, des conjurés pour l’affamer, et personne ne pouvait porter des subsistances dans des contrées qui en manquaient totalement.

La récolte de 1789, attendue avec une si douloureuse impatience, arriva enfin ; mais, quoique les récoltes successives de 1790, 1791 et 1792 aient été assez bonnes, on a été surpris, dans chacun des intervalles, de ne pas jouir de l’abondance et des facilités que l’on s’était promises.

« Les lois sur la libre circulation des grains et sur la liberté du commerce avaient été renouvelées par les nouvelles législations, mais, depuis 1789, la liberté n’a jamais existé un seul moment en fait. »

Ces dernières lignes valent d’être soulignées. Ainsi tous les désordres, toutes les violences et toutes les souffrances constatés de 1789 à 1793 n’ont pas été l’effet de la liberté proclamée dans des textes et effectivement protégée par les pouvoirs publics. C’est au contraire l’absence de liberté et de sécurité qui a ruiné le commerce, entravé les échanges et provoqué la disette, Creuzé-Lalouche avait raison de dire :

« Il vous faut des marchands ; mais, avec des formalités qui les rendront suspects et qui les flétriront d’avance, vous n’en trouverez pas. Vous pouvez faire des lois qui disposent des personnes et des choses, mais vous ne disposerez pas des volontés. »

Rien de plus juste. A l’appui de cette conclusion, le même orateur signale les inquiétudes provoquées par les inventaires que la Législative avait prescrits pour connaître les ressources du pays et prévenir les accaparemens :

« Vos commissaires, ajoute Creuzé-Latouche, vous diront les maux effroyables qu’a produits la loi du 10 septembre et que produiront toujours ces « déclarations, » et ces maux deviendront universels et incalculables si, par le résultat de ces déclarations nécessairement fausses, il paraissait que la France n’aurait pas de provisions pour quatre mois, tandis qu’elle en a réellement pour plus de dix-huit. »

On a récemment commis la même erreur et l’on aurait pu faire courir à notre pays le même danger, lorsque des administrateurs trop zélés ont réclamé, eux aussi, des « déclarations » et prescrit des inventaires chez les cultivateurs. Cette mesure avait visiblement pour but de faciliter au besoin des