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la science est la découverte de la vérité et non son obscurcissement ; il s’ensuit que, pour elle, la certitude d’un fait ou d’un principe a infiniment plus de valeur que la forme des termes qui l’expriment. Il s’ensuit qu’il y a une certaine incompatibilité entre l’état d’esprit des hommes politiques et celui des hommes de science.

À ces raisons, si finement exposées par les auteurs anglais, il faut ajouter l’éducation et l’instruction, qui continuent, un peu partout, à être beaucoup plus littéraires que scientifiques. On trouvera, dans le public, beaucoup plus de gens versés sur les guerres puniques que sur la cause des saisons ; une majorité qui serait capable de vous réciter beaucoup plus par cœur du Virgile, que de vous dire pourquoi et comment éclaire une lampe électrique à incandescence. Dans la plupart des administrations (je parle toujours, bien entendu, de l’Angleterre), on recrute les fonctionnaires sur des programmes archaïques et qui négligent la connaissance des méthodes scientifiques exigées par un État moderne. Ne serait-il pas temps de comprendre qu’aucun homme ne devrait pouvoir être considéré comme ayant reçu une instruction suffisante s’il n’a pas eu quelque contact avec les principes et les méthodes de la science, et si les œuvres de Pasteur ne lui sont aussi familières que celles de Victor Hugo, celles de Faraday aussi connues que celles de Shakspeare ? Une éducation qui se borne à la culture littéraire, sans toucher à la science, est aussi incomplète que celle qui n’aborde que la science, sans y joindre la puissance de l’expression claire.

Un écrivain bien connu a dit : » L’homme de science est, semble-t-il, le seul homme qui ait quelque chose à dire, et il est le seul qui ne sache pas comment le dire. » J’ignore si notre auteur a voulu insinuer par-là qu’il y a des hommes de lettres qui n’ont parfois rien à dire et le disent très longuement. En ce cas, il aurait eu tort.

Il est aussi devenu commun d’associer la science avec tout ce qui est froid et mécanique dans notre être et d’attribuer le développement spirituel de l’âme à l’autre département de notre activité. En faisant ainsi de la science une sorte de Cendrillon effacée et humble, à côté de sa brillante sœur, on a contribué un peu à créer l’état d’esprit que déploraient les auteurs anglais cités plus haut.

On s’explique d’ailleurs très bien que le vulgaire soit plus attiré par les beautés oratoires ou littéraires que par les sciences, et qu’il préfère les mots aux choses, aux réalités les fictions, aux objets leur