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image réfléchie dans l’âme miroitante d’un poète. La prétention scientifique de ne se soumettre qu’à l’évidence et de limiter ses assertions à celles que l’on peut dûment justifier est plus fatigante que de laisser libre cours à l’imagination, mais elle est la seule qui permette d’atteindre la vérité. Or celle-ci est le pic le plus haut et le plus beau dont l’escalade puisse tenter l’esprit humain. Ce n’est pas seulement Henri Poincaré qui l’a pensé, lorsqu’il écrivait que « la recherche de la vérité est la seule fin digne de notre activité, » c’est aussi un écrivain, qui est même le pédagogue des écrivains :


Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.


Boileau aussi fut, ce jour-là, aimable.

Aujourd’hui, la vérité est mieux qu’une chose aimable ; elle est la base matérielle et morale sur laquelle nous édifierons la victoire.

Pour terminer, je crois que l’influence considérable des femmes dans la société est pour beaucoup dans le penchant qui attire plus la généralité des gens vers les choses littéraires et oratoires, que vers les scientifiques. Les premières flattent en effet davantage leur sensibilité supérieure ; en outre, comme elles sont essentiellement subjectives, elles ne trouvent que peu de satisfaction aux sciences, qui sont, ou du moins s’efforcent d’être purement objectives ; enfin, elles s’intéressent moins que les hommes aux idées générales, qui sont scientifiques et plus aux particulières, qui sont littéraires, parce qu’elles sont plus sensibles et moins raisonneuses.

En somme, on ne se douterait point que c’est Eve qui goûta la première au fruit de l’Arbre de la Science.

Avant d’examiner comment pourra se faire l’utilisation de la science mobilisée en vue de la guerre, il me reste encore à examiner diverses petites polémiques qui ont été soulevées depuis quelques mois, tant en France que de l’autre côté du Rhin, à savoir si la science allemande est vraiment prépondérante, et si sa prétendue prépondérance est bée à celle du militarisme allemand, si la réponse positive que certaines personnes ont cru pouvoir donner à ces questions est de nature à discréditer la science, dont l’Allemagne serait le champion contre les disciplines adverses que défendraient les Alliés ?

Ce sera l’objet d’une prochaine chronique.


CHARLES NORDMANN.