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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/123

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Aussi, tant de changemens ramènent-ils à de frappans retours. La violence des explosifs et le débit surabondant des mitrailleuses ont supprimé les déploiemens à découvert qui donnaient aux batailles du Moyen Age leur allure de fête ; mais c’est pour reproduire la guerre de ruse et d’embuscade des sauvages. Nos hommes rampent comme des Peaux-Rouges ; ils ont appris à se dissimuler presque aussi bien qu’eux. La grande portée des armes, chose singulière, aboutit à ce nez à nez qu’est la lutte des tranchées et à ce corps à corps qu’est l’assaut à la baïonnette. Le mécanisme envahissant aboutit à un besoin et a un jaillissement de courage individuel sans égal peut-être dans l’histoire militaire. Avec la plus haute vertu, il exige et favorise encore d’incessantes activités de l’esprit. La machine rend la guerre moins machinale ; elle la spiritualise.

La valeur d’une armée reste donc ce qu’elle fut toujours, le produit de deux facteurs également indispensables. C’est, diraient les mathématiciens, une fonction à deux variables : l’homme et la matière ou, si l’on veut, l’âme et le mécanisme. La valeur du courage n’y est pas annulée, mais au contraire renforcée par la puissance des instrumens que ce courage emploie ; et l’utilité des machines de guerre se proportionne à la qualité des hommes qui les conduisent. Chacun des deux facteurs sert à l’autre de coefficient, de multiplicateur. Si l’un d’eux tombe à néant, le total s’anéantit. Sans une âme égale à la nôtre, l’armement le plus perfectionné ne réalise que la barbarie scientifique et, espérons-le, l’impuissance finale de nos ennemis ; sans des armes égales aux leurs, notre héroïsme chevaleresque ne nous donnerait jamais qu’une supériorité précaire et stérile.

Il reste à jeter un coup d’œil sur ces merveilles de l’outillage guerrier et sur les perspectives qu’elles offrent à nos rêves d’un avenir si incertain.


GEORGES BLANCHON.