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le jeune officier les rigueurs que l’on sait[1]. Au lieu de chercher à modifier, à adoucir, à refréner ce caractère fougueux et désordonné, il semble que le marquis n’ait pensé qu’à l’exciter et à l’aigrir davantage. Et voilà l’homme qu’on représente encore comme un bon maître, un excellent seigneur, un philanthrope dévoué !

On aurait pu croire, étant donné ses principes apparens, qu’au moins ses sentimens religieux lui dicteraient ses vrais devoirs. N’écrivait-il pas au marquis Lango, en 1776, « qu’un des plus grands délits qu’un homme puisse commettre, c’est de se permettre quelque acte ou quelque parole qui affaiblisse autour de lui l’opinion d’une religion toute sainte, qui nous annonce un seul Dieu auteur de toute bienfaisance, prodige de charité, foyer de toute lumière ; ce Dieu qui ne veut qu’être aimé, obéi et qui n’a prononcé, dans ses commandemens à l’homme, que l’amour de son semblable et le bon ordre social… » Il faisait l’éloge d’une religion « qui réunit tous ses membres en un même esprit, religion simple dans ses sacrifices, soumise et tendre dans ses dogmes, charitable et constante dans sa discipline ; qui appelle tous les hommes à la même table, à la communion du pain, qui sanctifie et consacre tous les actes de la vie, qui embrasse et divinise, en quelque sorte, tous les lieux de la société… » Ceci est très juste et très beau. Mais pourquoi n’avoir pas appliqué envers ses enfans « l’amour de ses semblables » et pratiqué les préceptes si sages de cette religion divine ? Le marquis croit se justifier en ajoutant : « Je ne suis pas dévot. Ce n’est pas à cette école qu’on apprend à bien défendre la religion. » Où donc apprendre à la défendre et surtout à la pratiquer, si ce n’est dans la piété et dans le sentiment du devoir ? Le marquis n’avait, en réalité, que les dehors hypocrites d’un ami de la religion. Il ne la pratiquait pas sincèrement, et par-là même il était incapable de la conseiller et de l’enseigner à son fils. Il reconnaissait lui-même qu’il n’était pas assez maître de lui « pour être vraiment exemplaire. »

Dès lors, comment demander à Gabriel de Mirabeau des

  1. Sa mère écrivait alors à M. de Malesherbes pour obtenir la mise en liberté de son fils victime d’une lettre de cachet : « Son père, aussi sévère envers lui qu’il s’est montré injuste envers moi, lui fait expier des fautes qu’il méritait d’autant plus d’indulger qu’elles n’ont eu pour objet qu’une dissipation d’argent assez commune aux enfans de son âge et de son état (2 janvier 1776.)