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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/554

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« Le gendarme qui nous accompagnait nous raconta alors qu’il avait accompagné un convoi de trois mille femmes et enfans de Marna Chatun, près Erzeroum, à Kemagh Boghaz : Hep gildi, bildiv dit-il. « Tous loin, tous morts. » Nous lui dîmes : « Mais pourquoi les soumettre à cet affreux supplice, pourquoi ne pas les tuer dans leur village ? » Réponse : « Cela est bien comme cela, ils doivent être misérables, et d’ailleurs, où pourrions-nous rester avec tous ces cadavres ? Ils sentiront mauvais ! »

«… Une fois, nous rencontrâmes une grande quantité de travailleurs aux routes, qui avaient jusque-là accompli leur travail en paix. On les avait partagés en trois bandes : Musulmans, Grecs, Arméniens. Auprès de ces derniers, étaient quelques officiers. Notre jeune Hassan s’écria : « On va tous les abattre. » Nous continuâmes notre route, en montant une colline. Alors notre cocher nous indiqua avec son fouet la direction de la vallée, et nous vîmes qu’on faisait sortir de la grande route ces gens, quatre cents environ, on les faisait mettre en ligne, au bord d’une pente du terrain. Nous savons ce qui est arrivé.

«… Dans un autre endroit, tandis que dix gendarmes fusillaient, des ouvriers turcs achevaient les victimes avec des couteaux et des pierres… Douze heures avant Sivas, nous passâmes la nuit dans une maison du gouvernement. Longtemps un gendarme, assis devant notre porte, se chantait sans interruption à lui-même : Ermenlery hep kesdilerv « Les Arméniens sont tous tués. » Dans la chambre à côté, on parlait au téléphone. Nous comprîmes que l’on donnait des instructions sur la manière d’arrêter les Arméniens. On parlait surtout d’un Ohannès, que l’on n’avait pas pu trouver.

« Une nuit, nous couchâmes dans une maison arménienne, où les femmes venaient d’apprendre la condamnation à mort des hommes de la famille. C’était affreux d’entendre les cris de douleur. En vain, nous essayâmes de leur parler : « Est-ce que votre Empereur ne peut pas nous secourir ! » criaient-elles. Le gendarme dit : « Nous tuons d’abord les Arméniens, puis les Kurdes. » Il aurait certainement aimé à ajouter : « Et puis les étrangers ! » Notre cocher grec avait à subir plus d’une cruelle plaisanterie : « Regarde, dans la fosse, il y a aussi des Grecs. »

« Enfin nous arrivâmes à Sivas… »

Citons encore, entre beaucoup d’autres, quelques extraits