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II

Jusqu’à la veille de la mort de Calvin, Genève avait été inquiète ; ses inquiétudes durèrent et même, avec le temps, s’accrurent. Ainsi l’âme genevoise acheva-t-elle de se former : les menaces ennemies, les périls incessans qui guettaient ses remparts, étaient pour elle une discipline, plus efficace encore que les pénalités du Consistoire. Dans une Genève qui n’aurait rien eu à craindre des hommes, les Calvin, les Bèze, auraient eu moins d’aisance pour faire redouter Dieu. Bèze fut sans cesse servi par les ennemis de Genève, et fort bien servi.

Il y eut alarme, du haut en bas de cette colline sanctuaire, lorsque, au soir du 29 août 1572, des marchands venus de Lyon colportèrent « les nouvelles de la trahison et horrible cruauté faite en France contre plusieurs seigneurs et contre tous les fidèles, » au jour de la Saint-Barthélémy et dans les journées qui avaient suivi. Genève, sur l’ordre de ses pasteurs et de ses magistrats, s’humilia, pria, jeûna. Elle écrivit à Berne, au Palatin du Rhin, au duc de Bavière. Des paniques se dessinèrent : les papistes, chuchotait-on, désirent, de loin, la tête de M. de Bèze, comme ils ont eu celle de M. l’Amiral. Pour avoir l’aide de Dieu, pour s’aider eux-mêmes, les magistrats commandèrent que chacun eût « à tenir ses armes prêtes et à hanter les sermons. » Ainsi les Genevois étaient-ils conviés au sermon, comme à des mobilisations spirituelles, qui se prolongeraient, ensuite, s’il le fallait, jusqu’aux remparts, pour défendre contre l’assaillant éventuel l’honneur de la ville et la tête de M. de Bèze. L’assistance aux prêches devenait comme un épisode de la défensive : on y venait puiser la confiance qui fait vaincre ; on y venait entendre parler des desseins de Dieu sur Genève. De jour en jour, les réfugiés arrivèrent, pasteurs de France, fidèles de France ; on les logea, on les nourrit, on empêcha les propriétaires d’élever le prix des loyers, on demanda de l’argent aux villes protestantes voisines pour assister ces confesseurs de l’Evangile. Mais avant de les recevoir, Genève les purifiait : si quelqu’un d’entre eux, pour sauver son repos ou sa vie, avait, en France, pris part à quelque cérémonie papiste, il devait se confesser, devant le Consistoire, de s’être ainsi « pollué aux idolâtries, » et faire réparation de sa faute ; ensuite seulement, il jouissait de la Cène, par