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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/573

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grâce, mais de conjurer les divines colères qui eussent pu détourner à jamais cette grâce. Donc, guerre aux scandales, petits et grands. Scandales du papisme, d’abord : toutes mesures étaient prises pour les conjurer ou les punir. Le citoyen de Genève qui, s’étant au loin fait catholique, se permettait de revenir habiter la République, devenait justiciable du bourreau. Consistoire et police avaient l’œil ouvert sur le marchand qui, sans y être autorisé, employait un ouvrier papiste, sur le chef de famille dont l’enfant buvait sans permission le lait d’une nourrice papiste : de fortes amendes châtiaient ces infiltrations papistiques ; d’autorité, l’enfant était sevré ; et ces papistes intrus étaient jetés dehors. Un simple on-dit, parlant d’une messe furtive qu’un passant, peut-être, avait célébrée quelque part, inquiétait gravement la ville et les Conseils. On se laissait alarmer, même, par beaucoup moins qu’une messe, par l’opiniâtre malice avec laquelle de vieilles peintures papistes reparaissaient un jour sur les murs de Saint-Pierre derrière le crépi dont on les avait recouvertes. On épiait la tentation d’idolâtrie que suggéraient à certains visiteurs, tantôt les statues allégoriques ornant le tombeau du duc de Rohan, et tantôt les petites ou grandes têtes de saints se dressant, toutes droites encore, en certains coins des stalles ou des vitraux. En 1643, en 1659, pasteurs et membres de la docte Académie se mobilisaient pour dénoncer aux magistrats ces occasions de péché.

Le luxe des hommes n’était pas réputé moins scandaleux que ces suprêmes vestiges du luxe de Dieu. A son de trompe, quelques jours après la mort de Calvin, on avait proclamé, de carrefour en carrefour, un surcroît de prohibitions, très gênantes pour les dames de Genève. Après les robes, les bijoux avaient été visés : on vit un jour Bèze, en 1577, signifier aux magistrats, de la part du Consistoire, que les femmes portaient trop de chaînes, trop de bagues, et qu’il fallait agir. Les repas aussi risquaient d’offenser Dieu. Le Consistoire, en 1606, s’inquiéta fort d’une certaine agape où les convives avaient tiré la fève ; et, comme il y avait eu, parmi les délinquans, deux membres du Conseil, on put craindre un instant, pour un incident aussi grave, un conflit entre l’Eglise et l’Etat.

Les patriciens, en fait, et surtout les patriciennes, prenaient parfois, vis-à-vis des édits somptuaires, certaines libertés qui eussent coûté cher aux gens de peu. D’amusantes luttes