l’individualité libre, l’élan de la sympathie humaine, le courage de la foi. Elle seule peut saisir les contraires, joindre les extrêmes, résoudre toutes les antinomies. Or, par sa position géographique, l’Alsace semble prédestinée à fondre un jour dans son esprit et dans ses créations les qualités essentielles du génie germanique et du génie français.
— Ah ! ne me parlez plus du génie germanique, me dit Pierre Bucher, nous le connaissons trop aujourd’hui.
— Oui sans doute, il est contaminé, perverti, empoisonné jusqu’aux moelles par la Prusse. Elle est devenue l’âme pangermaniste. Celle-là n’est pas seulement notre pire ennemie, c’est celle du genre humain, auquel elle voudrait se substituer en l’écrasant. Mais il y eut jadis une autre Allemagne, celle de ses penseurs, de ses poètes et de ses musiciens. Sont-ils sortis du fond de cette race mal civilisée ou tombés du ciel comme des aérolithes ? Quoi qu’il en soit, ils ont existé, ils font partie du patrimoine humain et, s’ils revenaient aujourd’hui, ils renieraient leurs descendans ou se renieraient eux-mêmes. C’est cette Allemagne-là que l’Alsace a aimée, comprise et interprétée, considérant ce travail comme une fonction sociale et un devoir européen. Autant elle abhorre le pangermanisme qui l’opprime et menace de l’asphyxier, autant elle a su apprécier ce que l’Allemagne d’autrefois a produit de grand et de profond par sa légende, sa poésie et sa pensée religieuse ou philosophique. Elle l’a su et l’a voulu, malgré l’attrait irrésistible et le dévouement enthousiaste que lui inspirait la France. — Si maintenant nous essayons de formuler la différence essentielle entre le génie allemand et le génie français, à les mesurer par leur apport au trésor de la pensée, nous dirons ceci : Le génie de l’Allemagne est tourné vers la compréhension de la nature et celui de la France vers la compréhension de l’humanité. Prenez les plus beaux génies de l’Allemagne, dans les domaines les plus divers, qu’ils se nomment Gœthe ou Schiller, Humboldt ou Schelling, Beethoven ou Wagner, vous remarquerez chez eux le besoin d’embrasser l’univers d’une seule étreinte, sous l’empire d’une seule idée, comme un organisme vivant, en subordonnant l’homme à la nature. D’autre part, prenez les grands génies de la France, quel que soit d’ailleurs leur tempérament personnel, leur doctrine ou leur parti, qu’ils se nomment Montaigne, Descartes ou Pascal,