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VISITES AU FRONT.

Le colonel s’arrêta pour lui poser quelques questions, puis lui dit :

« Eh bien ! ça commence à aller mieux ? » — « Oui, mon colonel. »

« Bon, Dans un ou deux jours, on va penser à retourner aux tranchées, hein ? » — « J’y vais de ce pas, mon colonel. » De part et d’autre, cela fut dit avec une parfaite simplicité. Le colonel ajouta seulement : « Allons, très bien, mon ami, » et il posa sa main affectueusement sur l’épaule de l’homme.

Nous visitâmes ensuite une hutte au toit de gazon. « À l’Enseigne des Artisans Ambulans, » où un petit groupe de soldats modelaient et ciselaient toutes sortes de babioles faites avec l’aluminium des obus allemands. L’un d’entre eux terminait une bague avec deux têtes de faunes finement ciselées ; un autre m’offrit un « pickelhaube » microscopique, mais complet dans les moindres détails et incrusté d’un aigle de bronze pris dans un pfennig impérial. Il y a beaucoup de fabricans de bagues parmi les soldats du front, et le dessin sobre et archaïque de leurs bijoux témoigne de la sûreté du goût français. Mais ceux que nous venions de visiter se trouvaient être des orfèvres de Paris, qui étaient trop modestes en se qualifiant d’« artisans. »

Plus haut, à l’ombre de la futaie, s’élevait un autre petit bâtiment ; un abri de bois couvrant un autel avec des candélabres et des fleurs. La messe y est dite par un prêtre-soldat, au milieu de l’assemblée agenouillée entre les troncs des sapins ; et, tout auprès, s’étend le cimetière, où, chaque jour, ces hommes déposent quelques-uns de leurs camarades, des pères de famille qui ne rentrent pas au foyer.

L’entretien de ce cimetière est laissé tout entier aux troupiers et leur piété a des trésors d’invention pour orner les tombes. Ils descendent jusque dans la vallée chercher les fleurs dont ils les couvrent. Souvent, ils réunissent leurs économies pour orner celle d’un camarade favori d’une couronne de verroterie ou de métal. L’après-midi finissait et beaucoup de soldats erraient dans les sentiers entre les tombes. « C’est leur promenade favorite du soir, » nous dit le colonel. Il s’arrêta pour nous montrer l’une de ces tombes, surchargée de mementos et de couronnes : celle du dernier d’entre eux tombé. « Il a été cité à l’ordre du jour…, » et les soldats qui nous entouraient se