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redressèrent avec orgueil, comme s’ils étaient désireux de bien s’assurer que nous comprenions la grandeur de ce qui les rendait si fiers…

« Et maintenant, dit notre capitaine de chasseurs, que vous avez vu des tranchées de seconde ligne, que diriez-vous d’un aperçu d’une tranchée de première ? »

Nous le suivîmes plus haut encore dans la montagne, et nous nous enfournâmes dans un profond fossé de terre rouge, qui conduisait aux premières lignes. Il fallait encore grimper sous les sapins mouillés, puis escalader la crête de la colline et descendre en zigzag de l’autre côté. Nous marchions un à un, le menton au niveau du haut de la tranchée, sous un abri de branches vertes. Le boyau descendait avec des détours presque à pic dans le ravin profond. Soudain, à un tournant, nous arrivâmes à un poste d’observation : le guetteur était là, tournant le dos, l’œil rivé à une ouverture ménagée dans la palissade de branches de sapins entrelacées. Au prochain détour, il y avait une autre ouverture ; mais là c’était une mitrailleuse qui veillait de son œil cerclé de fer. Nous étions arrivés à une centaine de mètres des lignes allemandes, cachées comme les nôtres, mais de l’autre côté de l’étroit ravin. On se sentait dans une atmosphère de mystère causée par le profond silence et par le fait de savoir l’ennemi si proche, derrière ces branches. Tout à coup, un bruit sec : une balle ricochant contre le tronc d’un arbre à quelques mètres au-dessus de nos têtes.

« Ah ! c’est encore le tireur posté dans l’arbre, dit notre guide. Ne parlez plus, je vous prie ; il est en face de nous, et dès qu’il entend des voix, il tire. Mais nous finirons bien par le repérer. »

Nous marchâmes en silence jusqu’au point où le boyau s’élargissait un peu. Des soldats étaient assis sur le bord d’un rocher, aussi calmes que s’ils avaient attendu leurs bocks à la terrasse d’un café du boulevard.

« Pas plus loin, s’il vous plaît, » dit l’officier, en me retenant par le bras ; et je m’arrêtai. Nous étions donc réellement dans une tranchée de première ligne ! Cette pensée nous faisait un peu battre le cœur ; mais, sans l’indiscret qui nous écoutait dans son arbre, et qui tira encore un ou deux coups de fusil, et sans le guetteur immobile et attentif dont nous voyions le dos près de la claie, nous aurions aussi bien pu