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les Hindous auraient pu les dénombrer. Mais, répandus dans la ville et chacun d’eux faisant plus d’embarras qu’une troupe armée, ils imprimaient aux vaincus une terreur salutaire. On pense bien que les femmes ne se laissaient pas distancer. Elles exagéraient les modes du Portugal, robes de brocart, de soie et d’argent, et autant de perles et de pierreries que les chevaux. Mais elles avaient remplacé le masque par des couches de fard et elles étaient montées sur de si hauts patins que leurs suivantes devaient les soutenir dans les quelques pas qu’elles faisaient de leur porte à leur palanquin et de leur palanquin à l’église. Elles se rendaient aux offices précédées d’esclaves qui portaient leur siège en bois doré, leurs oreillers, leur sac de velours, leur éventail et un tapis. La messe se disait au milieu des conversations, des rires, des plaisanteries, des disputes. Mais, au Saint-Sacrement, tous levaient la main, criaient miséricorde et se baillaient trois ou quatre coups sur la poitrine. Rentrés chez eux, dans leurs maisons en pierres rougeâtres, à un seul étage, où l’on montait par un double perron et qu’ombrageaient des jardins de palmes, ils se relâchaient de leur ostentation. Les hommes mettaient bas leurs beaux habits et s’assemblaient sous leurs vérandas en chemise et en caleçons. Pendant que leurs esclaves les éventaient, leur grattaient les pieds et en ôtaient les cirons, ils arrêtaient les passans pour faire la causette, ils appelaient les bateleurs et les montreurs de serpens. Les femmes, déshabillées dans leur jupe claire et fine, chantaient, jouaient, mâchaient du bétel et demeuraient de longues heures à leurs jalousies en forme de cages peintes, d’où elles voyaient tout sans être vues.

Sous ce luxe, et malgré cette mollesse, les passions faisaient rage et autant l’avarice que la volupté. Le mélange des races provoque toujours l’individu à ne prendre des nouvelles mœurs qui s’étalent autour de lui que les plus favorables au développement de ses mauvais instincts. Les Portugais n’imitaient pas toujours la décence extérieure des Hindous et des Musulmans, mais ils leur avaient emprunté la manière forte dont usent les tyrans polygames et jaloux. On se chuchotait à l’oreille des histoires bizarres. Les médecins n’étaient ni curieux ni savans. Pour eux, toute mort était naturelle, même quand le cou portait la trace des mains qui l’avaient un peu trop serré ; et tel barbier, qui venait de saigner une