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faisait de ses chaînes son unique support. Les gens qu’elle avait abandonnés à leurs instincts, les parias, qui vraiment vivaient en hommes libres, se vautraient dans l’ignominie. Au contraire, les Brahmes, toujours exposés à commettre une infraction, et dont l’existence était un continuel esclavage, se maintenaient à un niveau moral relativement assez élevé. Et, de même que leur corps avait gardé une grande beauté de formes, leur âme rayonnait encore par momens des premières clartés divines. Enfin toutes ces castes avaient ceci de bon que l’intolérance n’y dominait qu’à l’intérieur et qu’une si parfaite tolérance régnait autour de chacune d’elles, que les pratiques les plus extravagantes n’attiraient à leurs fidèles ni mépris ni haine. On peut penser que les missionnaires sans vaisseaux armés ni conquistadors derrière eux, auraient formé à la longue avec leurs chrétiens, et en respectant les bienséances, une nouvelle caste qui se fût étendue. Il n’était pas permis d’espérer davantage. Mais voilà ce que personne ne dit à François de Xavier.

Il ne se remit jamais, je crois, des premières impressions dont l’accabla la ville de Goa, et il ne l’aima jamais. Sa première visite avait été pour l’évoque, Fray Juan de Albuquerque. Il s’agenouilla et lui présenta le bref du Pape qui le nommait nonce apostolique. « J’userai de mes pouvoirs, lui dit-il, quand et comme il plaira à Votre Seigneurie, pas davantage. » A quoi l’évêque, touché de sa modestie, répondit : « Usez de tous les pouvoirs que vous a conférés Sa Sainteté. » II ne pouvait répondre autrement ; mais la déférence de François l’avait rassuré. C’était un brave homme, d’intelligence moyenne, et d’autant plus jaloux de son autorité qu’il était moins capable de la défendre. Il n’était arrivé que depuis quatre ans, n’avait aucune expérience de l’Inde et se laissait conduire par son vicaire général Michel Vaz, un prêtre de mœurs pures et d’esprit, tranchant, plus préoccupé de refréner les Portugais de Goa que d’évangéliser les Hindous. Il avait aussi près de lui un Franciscain relevé de ses vœux, Diego de Borba, que le Roi avait envoyé à titre de théologien prédicateur. J’ignore ce qu’il valait comme théologien ; mais on avait besoin d’un homme pratique, dévoué, désintéressé ; et il l’était. Sur son initiative appuyée par les personnages les plus considérables de la ville et par le notaire de la matricule Cosme Anes, on avait fondé le collège ou séminaire de Sainte-Foi, et on y avait réuni une