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les ardeurs du soleil brûlant et tout cela pour Dieu, voilà sûrement de grandes consolations, matière de joies célestes, car enfin la vie bienheureuse pour les amis de la croix de Jésus-Christ, c’est, je pense, une vie semée de telles croix. »

Les témoins sont plus précis. Grâce à eux, nous pouvons le suivre, vêtu d’une pauvre soutane de colon très lâche et qu’en marchant il relève légèrement de ses deux mains, à travers la foule chatoyante des Goanais. Il se rend des infectes prisons, « les plus ordes et les plus sales du monde, » disait notre compatriote Pyrard de Laval qui en avait tâté, à l’hôpital et de l’hôpital à l’église. Mais il s’arrête souvent. Il aime à interroger les passans et surtout les matelots, les soldats, les domestiques, les esclaves. Il n’y a pas dans toute l’Inde d’homme qui soit moins brahme que lui. Il ne redoute aucune promiscuité. Tous chemins lui sont bons pour arriver aux âmes. On l’a vu attablé devant un jeu de dés en compagnie de vauriens. Il jouait contre le diable. Il mendie de porte en porte pour les malades et pour les prisonniers. Il se fait inviter inopinément chez des gens dont il sait l’irrégularité scandaleuse de leur intérieur ; il tient à connaître la maîtresse du logis, et, s’il y en a plusieurs, il ne doute point que ce soient les sœurs de son hôte. L’hôte est gêné : son souper lui parait moins bon et ses gargoulettes moins fraîches. François ne veut pas sentir cette gêne et la prolonge avec une ingénuité impitoyable jusqu’au moment où quelques paroles adroites et fermes soulagent sa victime et la décident à épurer sa famille. Mais ces comédies évangéliques, où François se montrait un émule d’Ignace, plus familier et d’un tour d’esprit plus malicieux et plus tendre, personne ne les a mieux racontées que le Père du Jarric, au début du XVIIe siècle, dans son Histoire des Choses Mémorables advenues ès Indes Orientales. La page est délicieuse :


Il avait une singulière grâce et dextérité à manier les hommes, mêmement ceux qu’il trouvait embourbés ès sales et déshonnêtes plaisirs. Il tâchait de se mettre en la bonne grâce de celui qu’il désirait aider à sortir de ce bourbier, le saluant quand il le rencontrait avec une chère joyeuse et agréable, et lui faisant beaucoup de caresses pour s’insinuer peu à peu dans son amitié. Puis, quand il jugeait qu’il était bien affectionné en son endroit, il s’invitait à diner ou à souper chez lui, et quelquefois le prenait à l’impourvu de manière que l’autre était contraint, voulût-il ou non, de le recevoir. Étant assis à table, il priait son hôte de faire venir là ses enfans pour leur dire quelques petits mots d’instruction