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s’ils étaient grandelets, ou, s’ils étaient encore petits, pour les voir tant seulement. Quelquefois, il les prenait entre ses bras, même s’ils étaient fort petits et leur faisait tout plein de caresses. Puis il remerciait Dieu de ce qu’il avait donné des enfans à son hôte pour lui succéder un jour et priait la divine bonté de leur faire la grâce d’être un jour gens de bien. Après cela, il demandait où était la mère des enfans, laquelle celui qui l’avait invité était contraint de faire venir à son instance et prière. Etant venue là, le Père la saluait fort modestement, lui demandant d’où elle était, si elle était chrétienne et depuis quand, ou choses semblables. Puis, s’il y avait en elle quelque grâce ou beauté naturelle, il l’en louait devant son maître, disant qu’elle semblait être Portugaise et que les enfans qu’il avait eus d’elle méritaient bien d’être estimés Portugais. « Qu’est-ce donc, disait-il, qui empêche que vous vous mariiez ensemble ? Quelle plus belle et plus honnête femme sauriez-vous désirer ? Si vous me croyez, vous l’épouserez tant pour obvier à l’infamie de vos enfans qu’au déshonneur de cette pauvre créature ; car en cela vous montrerez si vous l’aimez ou non. » Ces propos ne tombaient pas d’ordinaire enterre ; ainsi advenait souvent que là même, et en la présence du Père, ils s’épousaient.


Il mettait ainsi un peu d’ordre dans la cité ; et comme à Lisbonne, il renouvelait chez les Chrétiens assoupis le désir des sacremens. Les pauvres et les indigènes baptisés se pressaient à ses prédications ; et toute la foule accourait dès qu’elle entendait sa clochette dans les rues et dans les carrefours et son appel ; « Fidèles chrétiens, amis de Jésus-Christ, envoyez vos fils et vos filles, vos hommes et vos femmes esclaves, à la sainte doctrine, pour l’amour de Dieu ! » Il y eut vraiment, pendant quelque temps, quelque chose de changé à Goa. Il avait réveillé le clergé portugais. Les exercices du catéchisme, dont il avait donné le modèle à la chapelle de Notre-Dame, étaient maintenant pratiqués dans toutes les églises. Mais la façon d’agir de François était si originale qu’on pouvait appréhender que l’efficacité n’en diminuât avec la nouveauté. Les cœurs se seraient peu à peu prémunis contre les surprises et les pièges que leur tendait ce voleur de plaisirs. D’autre part, il n’était pas venu dans l’Inde pour diriger le collège de Sainte-Foi. Son titre de nonce apostolique et sa vocation d’apôtre lui commandaient de parcourir l’immense diocèse de Goa, le plus immense de la Chrétienté, puisqu’il s’étendait d’Ormuz et de Mascate jusqu’aux iles Moluques. Toutes ensemble, les possessions des Portugais, qui, hormis à Goa, n’excédaient pas les limites de leurs forteresses, auraient tenu clans une de nos provinces ; mais elles étaient disséminées sur des milliers de